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ment, n’est fondé à regretter le résultat de cette double méprise. Nous ne connaissons point de témoignage plus concluant contre le système des autorisations en matière de journaux que le récit des péripéties qu’a dû traverser M. Guéroult pour obtenir l’autorisation de créer l’Opinion nationale. La sincérité de M. Guéroult ne ménage personne. Oubliant sans doute que le Moniteur en décembre 1858 avait frappé de blâme la polémique soutenue alors dans un autre journal par M. Guéroult à propos de la question italienne, le rédacteur de l’Opinion nationale attribue au contraire sans hésitation la faveur dont il a été l’objet à l’approbation que l’empereur aurait donnée à cette polémique. L’intervention réitérée du prince Jérôme fut nécessaire pour pousser l’affaire dans les bureaux du ministère de l’intérieur. L’indépendance de l’écrivain fut exposée à une rude épreuve dans le cabinet même du ministre. Celui-ci mit une condition à l’autorisation : c’est que M. Guéroult lui remettrait sa démission en blanc. Cette condition fut refusée, et il ne fallut rien moins que le retour de l’empereur, après la campagne d’Italie, pour rendre efficaces les hautes et exceptionnelles protections qui ont présidé à la naissance de l’Opinion nationale. Aucune des assertions de M. Guéroult n’a été démentie ; nous le répétons, l’indépendance de cet écrivain est incontestable et ne pouvait être mieux démontrée que par la franchise de son récit ; mais l’on voudra bien reconnaître que cette révélation est la critique la plus forte qu’ait encore soulevée le régime auquel la presse est soumise depuis 1852. Tous les écrivains indépendans ne peuvent certes avoir la présomption d’espérer qu’ils mériteront la haute et particulière approbation de l’empereur ; tous les écrivains indépendans ne peuvent compter parmi leurs titres l’amicale faveur d’un prince de la famille impériale. Enfin quels inconvéniens n’a pas pour le pouvoir lui-même un système qui a pu inspirer à un ministre aussi honnête homme que M. le duc de Padoue la pensée de l’expédient d’une contre-lettre ! Le libéralisme de M. de Persigny nous autorise sans doute à espérer la prompte réforme d’une telle législation ; mais, si les argumens pratiques eussent encore, été insuffisans à démontrer les fâcheux effets de l’exception au principe d’égalité consacrée par le décret de 1852, l’argument le plus décisif aurait été fourni par cette révélation qu’une inoffensive raillerie de M. d’Haussonville a obtenue de l’un des favorisés de ce régime exceptionnel.

Les élections municipales de Marseille sont d’un bon exemple et d’un heureux augure pour le réveil de la vie politique. Il est des esprits froids qui, à force de se mettre en garde contre les illusions, s’exposent à penser trop défavorablement de l’efficacité de leurs efforts au moment même où ils les tentent. Peut-être notre ami M. Léonce de Lavergne, tout en nous donnant son excellent catéchisme de la constitution, ne s’est-il point assez défendu contre cette inclination pessimiste. Des faits comme les élections marseillaises prouvent que lorsque ceux qui ont des devoirs politiques n’hésitent point à les remplir, le corps électoral montre plus d’intelligence et