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du suffrage universel, c’est donc travailler à mettre le pays en état de se prononcer avec discernement, avec sûreté, sur les graves problèmes que les événemens européens peuvent lui proposer, et c’est en même temps répondre sérieusement au signal donné par le programme du 24 novembre.

Pour qui, sans être ni ministre, ni sénateur, ni député, ne veut pas cependant demeurer étranger aux affaires de son pays, voilà la tâche plus nettement tracée aujourd’hui que jamais. Ce n’est point ici le lieu d’essayer de la remplir ; depuis longtemps, et lorsque l’espoir du succès était moins permis que maintenant, nous y avons consacré plus d’un effort. La considération des affaires extérieures nous attire en ce moment comme tout le monde. Pourtant nous ne pouvons nous empêcher de signaler à cette heure des efforts distingués ou utiles qui ont été tentés naguère dans la voie que nous indiquons. Une récente et piquante brochure de M. d’Haussonville vient, suivant nous, de faire faire un pas important à la question de la presse ; un très spirituel volontaire, qui a eu aux dernières élections générales le mérite d’essayer la lutte avec ses seules ressources, et de réunir autour de sa candidature indépendante une très respectable minorité, M. Bosselet, vient de publier sous le titre de Lettres de M. Journal, une critique très fine et très juste du système d’où, nous l’espérons, nous sommes en train de sortir, et une protestation saine et sensée en faveur des principes libéraux. Un homme dont nos lecteurs connaissent et goûtent l’esprit net et juste et le rare talent d’exposition, M. Léonce de Lavergne, vient d’analyser le mécanisme de notre constitution et de montrer le parti qu’on en peut tirer dans l’intérêt de la liberté. Enfin le parti libéral vient de faire, dans les élections municipales de Marseille, une honnête et instructive expérience du suffrage universel. Dans ces publications et ces faits d’un intérêt tout actuel, deux points nous paraissent mériter d’être notés : c’est d’une part le curieux document que la polémique excitée par la Lettre au sénat de M. d’Haussonville a mis au jour, document qui occupera désormais une bonne place au dossier de la question de la presse ; c’est d’un autre côté le caractère significatif des élections municipales de Marseille.

Que ceux qui ont à souffrir des vives épigrammes de M. d’Haussonville fassent entendre des plaintes, c’est leur droit. Les rieurs ne sont point pour eux, et il faut convenir qu’à ce métier de tirailleur qu’il a galamment entrepris, M. d’Haussonville fait souvent chasse heureuse. Le noble écrivain est de ceux qui pensent qu’il n’est point mauvais, pour s’assurer de la sensibilité du malade, de s’exposer à le faire crier. Il faut citer aujourd’hui un bon trait à l’appui de sa méthode : un homme de talent qui a eu la rare bonne fortune, sous le régime de la loi de 1852, d’obtenir l’autorisation de créer un journal a cru voir un doute élevé sur son indépendance dans un passage de la Lettre au sénat. Le doute n’était point justifié assurément, et d’ailleurs la susceptibilité de l’écrivain s’était irritée à tort ; mais, personne, si ce n’est les partisans de la loi de 1852 et ceux qui en ont le difficile manie-