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tient de la société. Autrefois, sous une monarchie légitime, où la souveraineté était en dehors de la nation une espèce de droit prééminent, et supérieur ; on pouvait soutenir que la nation était tenue envers cette souveraineté à certains hommages, qu’elle lui devait notamment une partie de sa fortune, comme elle devait la dime au clergé. Il m’en est plus ainsi aujourd’hui, il n’y a plus de souveraineté en dehors de la nation : il n’y ai plus qu’un gouvernement qui est son mandataire pour l’administrer le plus économiquement possible, et auquel on ne doit d’impôts que dans la mesure exacte des services qu’il rend. Par conséquent, pour apprécier la légitimité des sommes qu’on paie à l’état, ce n’est point à la richesse des contribuables qu’il faut les mesurer, mais au droit qu’a l’état de les demander. Autrement ce serait prétendre que celui qui achète un objet doit le payer en raison de sa fortune, non en raison de la valeur de l’objet lui-même. Toute la question est donc de savoir si les services à rendre par l’état augmentent en raison des progrès de la richesse publique.

Il ne faut pas ranger assurément parmi les causes d’augmentation de dépenses l’intervention financière de l’état dans les grands travaux d’utilité publique. Dans une société qui n’est pas riche, toute entreprise d’intérêt général s’exécute aux frais de l’état. C’est lui qui fait les routes, creuse les canaux, ouvre les ports, embellit les villes. Nul ne peut le suppléer dans cette action, parce que nul n’en a les moyens ; mais à mesure que la richesse publique se développe, l’intervention de l’état devient moins nécessaire : il trouve des compagnies qui moyennant une certaine redevance, se chargent de la plupart de ces travaux. En Angleterre et aux États-Unis, les deux pays où la richesse se développe le plus vite, il n’y a point de budget des travaux publics.

Nous sommes loin en France de cet idéal de l’abstention gouvernementale ; mais on peut constater que l’intervention de l’état dans les grands travaux, d’utilité publique y devient de jour en jour en jour moins importante. L’état par exemple a contribué pour des sommes considérables à l’établissement de nos chemins de fer ; c’est lui qui en vertu de ce qu’on a nommé le système de la loi de 1842, a fait les terrassemens, les travaux d’art de la plus grande partie des chemins qui constituent aujourd’hui le réseau principal. Neuf cents millions, ont été dépensés par lui, tant sous cette forme que sous celle de subvention, à mesure que la richesse publique s’est accrue, l’état n’a plus eu besoin de faire les mêmes sacrifices ; de puissantes associations financières se sont chargées, à peu près à leurs risques et périls, de continuer le réseau, et aujourd’hui on n’accorde pas pour les embranchemens les moins fructueux qui traversent les contrées