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ceux qui se récrient contre l’énormité de nos budgets que cette augmentation incessante est une conséquence forcée du progrès de la richesse publique. Qu’importe, dit-on, que le budget soit aujourd’hui de 2 milliards, si le fonds de la richesse sociale s’est accru en proportion, si la France paie aujourd’hui ce budget de 2 milliards plus facilement qu’elle ne payait 1 milliard il y a trente ans et 1 milliard 500 millions il y a dix ans ? Rien n’est absolu dans le chiffre d’un budget, tout y est relatif aux facultés des contribuables. L’Autriche est plus gênée avec un budget de 315 millions de florins (budget de 1858) que la France, que l’Angleterre surtout, avec un budget de 2 milliards. — C’est ainsi qu’on prétend justifier les augmentations incessantes du budget et prouver que nous ne payons pas plus que nous ne devons payer. À cela nous avons deux réponses à faire : la première, c’est qu’en bonne justice il n’est pas vrai qu’un pays doive payer plus d’impôts à mesure qu’il est plus riche ; la seconde, qu’on peut se faire illusion sur le caractère de cette richesse et sur les ressources qui en dérivent.

Montesquieu a dit : « Il n’y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler que cette partie (en parlant de la richesse) qu’on ôte aux sujets. Ce n’est pas à ce que le peuple peut donner qu’il faut mesurer les impôts, mais à ce qu’il doit donner. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels pour des besoins de l’état imaginaires. » Cette pensée est une de celles qu’on devrait mettre le plus souvent sous les yeux de l’administration, toujours disposée à considérer la richesse publique comme la sienne. « L’état, c’est moi, » disait Louis XIV, cette maxime règne toujours. On voit plus d’un gouvernement qui, sans se croire propriétaire absolu, dans le sens que l’entendait Louis XIV, des biens de ses sujets, croit au moins avoir sur ces biens un droit assez étendu pour justifier toutes les augmentations d’impôts qu’il lui plaît d’établir. S’il ne se considère pas comme propriétaire, il se considère au moins comme associé : à ce titre, non-seulement il prend sans le moindre scrupule le surplus des revenus produits par l’augmentation naturelle de la richesse, mais il établit encore de nouveaux impôts, et il se croit suffisamment justifié, s’il prouve que les nouveaux impôts ne dépassent pas la mesure de cette augmentation, comme si la richesse publique lui devait une prime en raison de son développement. On semble trouver tout simple que la France paie davantage lorsqu’elle est plus riche, et personne ne réfléchit à ce qu’est l’impôt pour celui qui le reçoit comme pour celui qui le paie.

Pour celui qui le reçoit, c’est-à-dire, pour l’état, l’impôt est uniquement le prix des services qu’il rend à la société. L’état n’est point un être abstrait qui ait des droits en dehors de ceux qu’il