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« M. Casimir Périer à M. Guizot.

« Saint-Pétersbourg, 28 décembre 1841.

« Monsieur,

« La situation est à peu près la même. Je crois toutefois pouvoir vous garantir que le gouvernement impérial et la cour ne changeront rien à leurs relations officielles avec moi. Si mon entrevue avec M. de Nesselrode depuis le 18 ne suffisait pas pour établir à cet égard ma conviction, mes doutes seraient levés par l’attitude et le langage de l’empereur, qui, sentant toute la maladresse de sa colère, affecte maintenant une sorte d’indifférence et s’efforce de paraître complètement étranger aux démonstrations de la noblesse et de la société : il prétend ne pouvoir pas plus s’y opposer qu’il n’a pu les commander. Ce ne sera pas là une des scènes les moins curieuses de cette triste comédie qui ne fera pas de dupes.

« Je sais de bonne source, j’apprends par les messagers qui m’arrivent et les communications qui me sont faites, sous le secret, par l’intermédiaire quelques-uns de mes collègues, combien, à l’exception d’un petit nombre d’exaltés et de dévoués quand même, combien, dis-je, on regrette les procédés auxquels on est contraint.

« Pour bien faire apprécier à votre excellence la nature et l’étendue de la consigne impériale, je suis obligé de lui citer un du deux « faits. Au théâtre français, un jeune homme qui se trouvait dans une loge à côté de la nôtre ayant demandé de ses nouvelles à Mme Périer, l’empereur s’informa de son nom, et le lendemain le coupable reçut une verte semonce et l’invitation d’être plus circonspect à l’avenir.

« On a poussé l’inquisition jusqu’à envoyer au jeu de paume, qui est un exercice auquel j’aime à me livrer, et à faire demander au paumier les noms de ceux avec qui j’aurais pu jouer. Heureusement il n’y a eu personne à mettre sur cette liste de proscription d’un nouveau genre.

« Vous comprendrez facilement, monsieur, qu’avec un pareil système on établisse sans peine une unanimité dont la cause se trahit par l’impossibilité même de sa libre existence.

« L’empereur profite de cette position, et, satisfait de ce qu’il a obtenu maintenant que le mot d’ordre a circulé et que l’impulsion est donnée, il se montre parfaitement doux. On fait répandre qu’il n’y a rien d’officiel dans ce qui s’est passé, que l’empereur n’y peut rien, qu’il a dû admettre et admis mon excuse, mais que la société est libre de ressentir ce qu’elle a pris comme un manque d’égards envers la personne du souverain.

« J’irai demain à un bal donné à l’assemblée de la noblesse, où