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On dit que l’ambassade en France sera supprimée, le comte de Pahlen appelé à d’autres fonctions. On vient de m’annoncer qu’une ligue va se former contre moi dans la société sous l’inspiration ou même d’après l’ordre de l’empereur, qu’aucun salon ne me sera ouvert, et que l’ambassade se trouvera frappée d’interdit. Je ne sais que penser des premiers bruits, que je me borne à enregistrer ; mais le dernier se confirme déjà : déjà plusieurs faits particuliers sont venus en vingt-quatre heures accuser les premiers symptômes de cette levée de boucliers…

« Décidé à mettre beaucoup de circonspection dans mes premières démarches, je me tiendrai sur la réserve et n’affronterai pas, dans les salons qui n’ont aucun caractère officiel, des désagrémens inutiles contre lesquels je ne pourrais réclamer. Il peut être important de ménager la société où une réaction est possible, de ne pas me l’aliéner en la mettant dans l’embarras, de ne pas rendre tout rapprochement impossible en me commettant avec elle. Je viens d’ailleurs d’apprendre, avec autant de certitude qu’il est possible d’en avoir quand on n’a ni vu ni entendu soi-même, je viens, dis-je, d’apprendre que le mot d’ordre a été donné par la cour, et que c’est par la volonté expresse de l’empereur que je n’ai pas été et ne serai plus invité nulle part.

« Daignez, je vous prie, m’indiquer la conduite que je dois suivre. Celle dont je chercherai à ne pas m’écarter jusque-là me sera dictée à la fois par le sentiment profond de la dignité de la France et par le souci des intérêts que pourrait compromettre trop de précipitation ou une susceptibilité trop grande. Je ne prendrai, dans aucun cas y l’initiative de la moindre altération dans les rapports officiels. »

« M. Casimir Périer à M. Guizot.

« Saint-Pétersbourg, 24 décembre 1841.

« Monsieur,

« La situation s’est aggravée, et il m’est impossible de prévoir quelle en sera l’issue.

« L’ambassade de France a été frappée d’interdit et mise au ban de la société de Saint-Pétersbourg. J’ai la complète certitude que cet ordre a été donné par l’empereur ; Toutes les portes doivent être fermées ; aucun Russe ne paraîtra chez moi. Des soirées et des dîners auxquels j’étais invité, ainsi que Mme Périer, ont été remis ; les personnes dont la maison nous était ouverte et qui ont des jours fixes de réception nous font prier, par des intermédiaires, de ne pas les mettre dans l’embarras en nous présentant chez elles, et font alléguer, sous promesse du secret, les ordres qui leur sont donnés.

« L’empereur, fort irrité et ne pouvant comprendre qu’une simple