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libres, à la condition d’obtenir de ces Africains un engagement pour une période d’au moins quinze années. Les raisons invoquées par le rapporteur sont d’une étrange hypocrisie. À l’en croire, il s’agit surtout d’assurer le bonheur de ces noirs, de les faire passer de la servitude la plus abjecte, des ténèbres de l’intelligence, de la dégradation morale, à une liberté relative, à une vie de travail adoucie par l’influence heureuse du christianisme ; il s’agit de procurer à ces infortunés Africains toutes les douceurs de la vie des esclaves d’Amérique, « les gens les plus heureux qui vivent sous le soleil… D’ailleurs l’introduction de nègres libres dans l’état et leur vie en commun avec les esclaves ne peuvent créer aucun danger, car la couleur de leur peau, leur ignorance, leurs habitudes, le genre de travail qu’on exigera d’eux, les mettront exactement sur le même niveau que les esclaves déjà établis dans le pays. Et quand le terme de leur engagement sera expiré, il nous suffit de dire [we need say no more) qu’ils pourront s’engager de nouveau, ne fût-ce que pour une période qui leur permette d’acquérir les moyens de retourner dans leur patrie ou dans la république de Libéria, dont ils apprécieront les institutions libérales et chrétiennes, grâce à l’apprentissage qu’ils en auront fait sur le sol américain. » Enfin le rapporteur termine par un argument devant lequel toute opposition doit céder. » Ceux, dit-il, qui, sous prétexte d’humanité ou de philanthropie chrétienne, repoussent l’introduction sur le sol louisianais de ces Africains sauvages, ignorans, dégradés, non-seulement s’appuient sur de faux, raisonnemens, mais encore, sans le savoir, se rangent du côté de nos adversaires, les abolitionistes du nord ! » Qui peut douter, après cette harangue, que la prétendue immigration libre ne soit en réalité l’esclavage lui-même sous une forme non moins, odieuse ?

Quel sera le résultat inévitable du rétablissement de la traite, si les états du sud, libres enfin d’agir à leur guise, en arrivent à violer ouvertement les lois fédérales ? Ce sera l’aggravation de la mortalité parmi les nègres d’Amérique, et par conséquent le manque de bras. Il deviendra plus coûteux d’élever un enfant noir pendant de longues années que d’acheter un robuste travailleur. Sans que pour cela les maîtres aient conscience de leur barbarie, ils s’occuperont moins de la santé des négrillons, et ils les laisseront mourir, ou bien, comme les planteurs de Cuba, ils n’achèteront plus de femmes et n’importeront que des hommes dans la force de l’âge. Le marché étant constamment fourni de travailleurs à bas prix, les planteurs craindront aussi beaucoup moins de surmener leurs nègres. Ce qui s’est vu, à la Jamaïque, dans les petites Antilles, au Brésil où, malgré l’introduction constante de nouveaux esclaves, le