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de cet appui, ils en appellent solennellement au grand juge dont ils se disent les apôtres : ils maudissent les abolitionistes comme des blasphémateurs, des contempteurs de la parole divine ; ils condamnent au feu à venir, comme du haut d’un tribunal céleste, tous ceux qui voient un crime dans l’achat de l’homme par l’homme. Ayant ainsi mis de leur côté le Dieu des armées, ils peuvent tout se permettre ; ils peuvent décréter le rétablissement de la traite, la mise en esclavage de tous les nègres libres, au besoin la mort pour l’abolitioniste blanc : n’ont-ils pas pour eux l’exemple des prophètes, des juges et des rois inspirés de la Judée ? Le premier acte de la législature de la Caroline du sud, en proclamant son indépendance, a été de décréter un jour de jeune solennel et d’invoquer le Tout-Puissant « comme il convient à un peuple moral et religieux. »


II.

Le problème de l’esclavage, un des plus terribles sans aucun doute qui aient jamais été posés devant le genre humain, serait-il donc insoluble par des moyens pacifiques ?

Le moyen qui se présente au premier abord à l’esprit, — le rachat intégral des esclaves américains, — ne serait praticable que s’il y avait accord entre tous les peuples civilisés en vue de ce résultat, car les finances d’aucun gouvernement isolé ne pourraient subvenir à une semblable dépense. En 1848, la France a payé 126 millions le rachat de ses esclaves, l’Angleterre avait voté dès 1837 la somme bien plus considérable de 500 millions pour le même objet ; mais si le gouvernement des États-Unis voulait faire de tous les esclaves américains autant d’hommes libres en les achetant à leurs propriétaires, il faudrait, en adoptant l’évaluation minime de 1,000 dollars par tête, grever le budget national d’une somme de II milliards 200 millions de dollars, soit plus de 20 milliards de francs. Quand même les planteurs, avec une générosité dont ils n’ont guère donné de preuves, se contenteraient de l’ancienne évaluation fictive de 600 dollars par esclave, évaluation adoptée jadis pour fixer la quote-part des impôts, l’indemnité serait encore de 12 milliards. En outre les propriétaires d’esclaves réclameraient sans aucun doute 12 milliards de plus pour les dédommager de la baisse subite et inévitable du prix des terres. Quoi qu’il en soit, il est manifestement impossible de trouver pour le rachat des esclaves cette immense rançon à laquelle chaque année qui s’écoule ajoute quelques centaines de millions de plus. Admettons cependant que cette effroyable somme puisse être payée, et que les nègres, esclaves aujourd’hui, redressent enfin leurs têtes : la question terrible n’est pas