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offrant[1], les planteurs éprouvaient pour ces malheureux blancs le même dégoût qu’ils montrent aujourd’hui à leurs nègres. De même, lorsque les Indiens capturés à la guerre faisaient partie du butin, que tous les peaux-rouges ennemis étaient d’avance condamnés à l’esclavage ou à la mort, lorsque le gouverneur de la Caroline du sud offrait 50 dollars par tête d’indigène assassiné, les Indiens étaient, comme les nègres, des objets d’horreur pour les envahisseurs blancs. Ce qui toutefois a relevé les petits-fils des esclaves blancs aux yeux de leurs compatriotes les planteurs, c’est le titre d’hommes libres qu’ils ont acquis. Maintenant ils sont en tout point les égaux de leurs anciens maîtres, et plusieurs d’entre eux occupent les fonctions les plus élevées de la république. Les Indiens aussi, en combattant pour leur liberté et en refusant obstinément le travail qu’on voulait leur imposer, ont su conquérir une certaine égalité ; ils sont tenus en estime malgré la couleur de leur peau, et d’après le code noir « le sang qui coule dans leurs veines est, comme celui du blanc, le sang de la liberté[2]. » Une preuve que la vraie cause de l’opprobre qui pèse sur les nègres n’est point la couleur, mais bien l’esclavage, c’est que les blancs qui comptent parmi leurs ancêtres un seul Africain sont tenus comme noirs eux-mêmes malgré le témoignage de leur peau. Un seul globule impur suffit pour souiller tout le sang du cœur. Il y a quelques années, le bruit se répandit qu’un des personnages les plus éminens de la Louisiane n’était pas de race pure, que l’une de ses trisaïeules avait vu le jour en Afrique. le scandale fut immense, un procès émouvant se déroula devant la haute cour, et bien que le défenseur ait réussi, par ses larmes et ses argumens, à laver le prévenu de cette énorme accusation, bien qu’il ait pu faire prononcer que la trisaïeule était née de parens indiens, et que les seize seizièmes du sang de son client ne roulaient pas une goutte impure, cependant le soupçon et le mépris n’ont cessé, malgré l’acquittement, de planer sur le personnage accusé.

Quand même les principes sacrés de l’hérédité, le fait accompli, la différence de couleur, l’antagonisme historique des blancs et des noirs, seraient insuffisans pour justifier la prise de possession des esclaves, les défenseurs de l'institution domestique ne s’en croiraient pas moins en droit d’agir comme ils l’ont fait jusqu’à nos jours. L’esclavage fût-il en désaccord avec les lois de la morale vulgaire, les Américains devraient le maintenir par bonté d’âme, car le bien des

  1. Voyez Bancroft, History of the United States, vol. II, pages 99-106.
  2. Il est vrai que, pour mieux conquérir le respect des Américains, les Indiens se sont faits, eux aussi, propriétaires, d’esclaves. Les Cherokees, établis à l’ouest de l’Arkansas, possèdent plus de deux mille nègres.