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circulation de substance, les échanges, les successions de vie, qui sont le mouvement rapide de purification constante. Que peut-il à ce mouvement, continué si loin de lui, dans ce monde obscur et profond ? Peu en bien, davantage en mal. La destruction de telle espèce peut être une atteinte fâcheuse à l’ordre, à l’harmonie du tout. Qu’il prélève une moisson raisonnable sur celles qui pullulent surabondamment, à la bonne heure ; qu’il vive sur des individus, mais qu’il conserve les espèces : dans chacune, il doit respecter le rôle, que toutes elles jouent, de fonctionnaires de la nature.

Nous avons déjà traversé deux âges de barbarie. Au premier, on dit, comme Homère : « La mer stérile, » On ne la traverse que pour chercher au-delà des trésors fabuleux ou follement exagérés. — Au second, on aperçut que la richesse de la mer est surtout en elle-même, et l’on mit la main dessus, mais de manière aveugle, brutale, violente. — A la haine de la nature, qu’eut le moyen âge, s’est ajoutée l’âpreté mercantile, industrielle, armée de machines terribles, qui tuent de loin, tuent sans péril, tuent en masse. À chaque progrès dans l’art, progrès de barbarie féroce, progrès dans l’extermination. Exemple : le harpon lancé par une machine foudroyante. Exemple : la drague, le filet destructeur employé dès 1700, filet qui traîne immense et lourd, et moissonne jusqu’à l’espérance, a balayé le fond de l’Océan. On nous le défendait ; mais l’étranger venait et draguait sous nos yeux. Des espèces s’enfuirent de la Manche, passèrent vers la Gironde ; d’autres ont défailli pour toujours. Il en sera de même d’un poisson excellent, magnifique, le maquereau, qu’on poursuit en toute saison. La prodigieuse génération de la morue ne la garantit pas : elle diminue même à Terre-Neuve, peut-être s’exile-t-elle vers des solitudes inconnues.

Il faut que les grandes nations s’entendent pour substituer à cet état sauvage un état de civilisation où l’homme plus réfléchi ne gaspille plus ses biens, ne se nuise plus à lui-même. Il faut que la France, l’Angleterre, les États-Unis, proposent aux autres nations et les décident à promulguer toutes ensemble un droit de la mer. Les vieux règlemens spéciaux des pêches riveraines ne peuvent plus servir à rien dans la navigation moderne. Il faut un code commun des nations applicable à toutes les mers, un code qui régularise non-seulement les rapports de l’homme à l’homme, mais ceux de l’homme aux animaux.

Ce qu’il se doit, ce qu’il leur doit, c’est de ne plus faire de la pêche une chasse aveugle, barbare, où l’on tue plus qu’on ne peut prendre, où le pêcheur immole sans profit le petit être qui, dans un an, l’aurait richement nourri, et qui, par la mort d’un seul, l’eût dispensé de donner la mort à une foule d’autres. — Ce que l’homme