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son déguisement de Circassienne, conjure le vieux général Orsakof de faire grâce à un pauvre sous-officier qu’il veut faire fusiller, cette romance délicatement ouvrée, — Si vous m’aimez, — est très bien adaptée à la voix presque féminine de M. Montaubry, qui la chante avec beaucoup d’art ; mais la situation du personnage est si fausse qu’on s’impatiente qu’un pareil sentiment soit exprimé par un homme à un vieil imbécile de son sexe. Un duo pour basse et ténor entre le général et la fausse Circassienne est très bien aussi ; mais je préfère le joli quatuor que provoque l’arrivée de la nièce du général, la belle Olga. En voyant la prétendue Circassienne que son oncle lui présente, et qu’il lui offre comme une compagne utile dans une contrée aussi éloignée, Olga s’écrie : « C’est étonnant comme elle ressemble à l’officier de la garde dont nous avons soigné les blessures ! » Ces mots de surprise, c’est étonnant ! ramenés plusieurs fois sur une phrase spirituelle, donnent lieu à une scène piquante et à un morceau d’ensemble dialogué avec infiniment d’art. Surpris tout à coup par une troupe de Circassiens ennemis, l’officier Zoubof est fait prisonnier dans son déguisement de femme. Un vieil eunuque qui se trouve de la partie regarde avec joie la beauté piquante dont il va enrichir le harem de son maître, le prince Aboul-Kazim. Cette situation comique est rendue par un petit finale qui est un chef-d’œuvre de gaieté musicale, et qui rappelle de loin le finale du premier acte de l’Italiana in Algieri. Les exclamations de l’eunuque, lancées dans le vide par sa voix glapissante, forment un trait d’union des plus heureux entre les différentes parties du tissu harmonique, qui se renoue ainsi plusieurs fois d’une manière habile. Ce finale et tout le premier acte, dont il résume la situation, me paraissent à la hauteur de ce que M. Auber a écrit de plus heureux. Le second acte est beaucoup moins important, et se ressent du lieu où se passe la scène, le sérail du prince Aboul-Kazim. Une fois cependant qu’on a accepté la donnée de cette mascarade un peu trop prolongée, il y a dans le second acte des incidens qui ne manquent pas de gaieté. Nous avons remarqué le premier chœur des femmes du harem, qui est joli ; une romance pour voix de ténor que chante Zoubof, toujours empêtré dans son déguisement ; l’air de baryton où le prince Aboul-Kazim exprime sa fureur guerrière, air facile et mélodique, que M. Troy dit avec talent ; un autre chœur des femmes du sérail qui essaient de se révolter, et l’air de danse qui est emprunté à l’ouverture ; Le troisième acte, qui est le plus faible de tous, offre encore un air de bravoure pour voix de soprano écrit avec infiniment d’élégance, de jolis couplets que M. Couderc débite avec autant d’esprit que de tact, et un agréable nocturne entre les deux amans, la belle Olga et Zoubof, qu’on est heureux enfin de voir dans un costume de son sexe.

Tels sont les différens morceaux qui nous ont paru mériter une mention particulière dans la dernière partition de M. Auber, qui se recommande encore plus par l’élégance et la facilité générale du style que par des idées saillantes et nouvelles. Si les deux derniers actes de la Circassienne avaient égalé le premier, M. Auber aurait écrit, à quatre-vingts ans, l’un de ses meilleurs opéras. Le finale, le quatuor : C’est étonnant, la romance : Si vous m’aimez, le second chœur du premier acte, sont des morceaux remarquables tant au point de vue purement musical qu’à celui de la vérité scénique.