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de l’empereur. La liberté de la presse est si étroitement liée à la liberté électorale et à l’action organique du suffrage universel, qu’il est impossible, que le corps législatif la passe sous silence dans la discussion de l’adresse. Les principes et les intérêts sur lesquels s’appuie la liberté de la presse sont nombreux et divers. Pour que les journaux soient libres, il faut qu’ils puissent prêter des organes à tous les intérêts et à tous les droits légitimes qui existent dans le pays. Ce n’est donc pas sur le système répressif qui la régit que l’on doit décider si la presse est où n’est pas libre ! La première condition de la liberté des journaux, c’est que les citoyens soient libres de fonder des journaux en satisfaisant aux règles égales et communes établies par la loi. Lorsque la création d’un journal dépend d’une autorisation ministérielle, la presse est sous le régime du privilège et du monopole : il peut arriver, il arrive infailliblement que des intérêts légitimes, des causes légales, viennent à manquer des organes qui leur seraient utiles ou nécessaires. Cela s’est vu depuis la législation de 1852 : si d’une part des intérêts personnels peu estimables ont pu parfois se servir des journaux existans, si le type d’un Vernouillet a dû, dans la comédie à la mode, paraître vrai au public, tout le monde sait qu’il a été impossible, dans la constitution actuelle de la presse, à des intérêts considérables et respectables, ayant de profondes racines dans le pays, qui avaient été longtemps regardés comme se confondant avec des intérêts publics de premier ordre, d’exposer, de soutenir, de défendre leur cause par la voie des journaux. Nous faisons allusion aux intérêts protectionistes. Nous ne sommes point protectionistes, avons-nous besoin de le dire ? mais nous avons rougi pour notre pays, nous avons regretté pour la cause de la bonne économie politique, que la législation de la presse ait mis des opinions sincères, des intérêts si nombreux et si divers, dans l’impuissance de faire entendre publiquement leur voix dans la presse parisienne au moment où des décisions si graves étaient prises contre le système protecteur. Si, dans l’ordre des affaires matérielles, on a pu se convaincre qu’il était regrettable que la liberté des journaux fît défaut, combien cet état de choses n’est-il pas plus durement ressenti dans l’ordre des intérêts moraux et politiques ! Le journal n’est pas seulement un indispensable moyen d’information et un moyen puissant d’éducation populaire, il peut être surtout un organe vital d’association pour les idées comme pour les intérêts. C’est même, dans l’état de notre civilisation, l’instrument d’association à la fois le plus efficace et pour l’ordre public le plus inoffensif. Chaque jour, par le journal des milliers d’intelligences sont rapprochées et mises en communication ; elles savent que les impressions qu’elles en reçoivent sont partagées, elles sentent qu’elles marchent vers un but commun avec une association d’amis inconnus ; elles puisent dans ce sentiment une force contre l’ennui, la stérilité, le désespoir de l’isolement individuel ; elles.se fécondent à ce contact invisible ; elles agissent, elles vivent. Dans un pays comme la France, placé entre deux conditions sociales dont tout le monde s’accorde à signaler le