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trouvé une méthode infaillible pour résoudre toutes les oppositions, je vous écoute avec quelque surprise, mais non sans infiniment de curiosité. Quel est donc ce moyen infaillible et universel de conciliation? Si je vous entends bien, il consiste à substituer à l’idée d’un Dieu créateur, tirant l’univers du néant, l’idée d’un devenir éternel et nécessaire, où l’être et le néant contractent un mariage éternellement fécond, ou encore à remplacer l’idée d’un Dieu distinct de l’homme et objet de son adoration par l’idée d’un Dieu qui n’est d’abord que l’être indéterminé, mais qui, se déterminant par une loi nécessaire de son essence, devient successivement toutes choses, et parvient enfin dans l’homme à la pleine conscience de lui-même. Ceci est très clair, j’en conviens; par malheur, ceci n’est pas original. Vous avez pris cette idée dans Schelling et dans Fichte.

— Oui, répondrez-vous, j’ai en commun avec Schelling l’idée du développement progressif de l’absolu; mais ç’a été chez lui une simple intuition : il n’a pas su tirer parti de son idée, l’organiser en système; il n’a pu trouver une méthode pour déduire le néant de l’être et le fini de l’infini. Moi, Hegel, j’ai trouvé cette méthode. — Soit; mais encore une fois quelle est cette méthode? est-elle fondée sur l’identité des contradictoires, oui ou non? Si vous abandonnez cette identité prise au sens strict et absolu, votre système n’est que celui de Schelling mis sous des formes régulières, et alors vous devez renoncer à vos prétentions à l’originalité, ou bien, si vous voulez à toute force être original et avoir découvert une logique nouvelle, alors il faut reprendre le principe de l’identité absolue des contradictoires, vous inscrire en faux contre le sens commun, et soutenir que, rigoureusement parlant, l’être et le néant, le fini et l’infini, le oui et le non, sont identiques.

C’est ici que vous attendent d’habiles dialecticiens; ils vous arrêtent dès votre première déduction. Elle consiste à montrer premièrement que l’être et le néant sont identiques, — secondement qu’ils sont contradictoires, — troisièmement qu’ils s’identifient dans le devenir. Mais d’abord vous ne prouvez pas l’identité de l’être et du néant. Assurément l’être pur, l’être absolument indéterminé, est fort éloigné de la réalité; néanmoins il en retient quelque chose, car c’est un terme positif: donc il n’est pas identique au néant, qui est tout négatif. Si l’être et le néant n’avaient pas de différence, vous ne pourriez pas les distinguer, les nommer, car deux identiques ne font qu’un. Vous vous acharnez en vain contre la loi primitive de la pensée; vous oubliez cette maxime : « Il ne faut pas se raidir contre les choses, car elles ne s’en inquiètent pas. »

Admettons maintenant qu’il y ait d’abord identité, puis contradiction entre ces deux concepts; on ne vous accordera pas pour