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monde corporel à l’homme, parcourant la religion, l’art, la politique, la philosophie, Hegel explique toute l’histoire de la nature et toute celle de l’humanité par un système de contradictions qui se rattachent toutes à celle de l’être et du néant, première contradiction, mère de toutes les autres. Et c’est ainsi qu’il croit avoir pacifié l’esprit humain, réconcilié tous les systèmes, expliqué toutes les religions, fondé enfin la science absolue et dit le dernier mot de la philosophie.

Aucun esprit un peu exercé et un peu calme ne contestera la grandeur de l’effort et ce qu’il a fallu, pour suivre jusqu’au bout un pareil dessein, de force dans l’esprit, d’étendue dans les connaissances, de courage dans le caractère et de foi généreuse au fond du cœur; mais la question est de savoir ce que vaut l’idée première. Je m’adresse aux hégéliens et je leur dis : Prenez-vous le principe de l’identité des contradictoires dans son sens rigoureux? On vous dira tout net qu’il est absurde. Le mot est dur; mais je m’en rapporte ici à mes adversaires, par exemple à M. Véra, un des dévots de Hegel, et l’un de ses plus fidèles et de ses plus habiles interprètes. Je lis dans sa savante introduction que si par principe de contradiction on entend que la même chose ne peut pas être et n’être pas dans le même temps et sous le même point de vue, alors, ce principe est incontestable[1]. Voilà un aveu dont je prends acte; il honore le bon sens de M. Véra. Mais, quoi! lui dirai-je, y a-t-il donc deux manières d’entendre le principe de contradiction? Quand Platon, qui l’a formulé le premier, l’opposait avec tant de force et une ironie si perçante aux Thrasymaque et aux Polus, l’entendait-il autrement? et Aristote, qui en a fait l’axiome fondamental de sa logique, ne le prenait-il pas dans le même sens? Que venez-vous donc nous parler de deux logiques, la logique de l’entendement, fondée sur le principe de contradiction et bonne apparemment pour les esprits vulgaires, et la logique de la raison, logique nouvelle, logique transcendante, à l’usage des penseurs de l’école allemande? Malheur aux inventeurs de logiques nouvelles! Il n’y a pas deux logiques, car il n’y a qu’un esprit humain.

Mais si vous reculez sagement devant la négation du principe de contradiction, que devient votre principe fastueux de l’identité des contradictoires? Il se réduit à dire que les contradictions sur lesquelles le scepticisme s’est appuyé de tout temps ne sont qu’apparentes, que ce sont de simples oppositions qui peuvent être conciliées. Si vous ne dites que cela, je dis comme vous; seulement je vous attends à l’œuvre. Et quand vous m’annoncez que vous avez

  1. Traduction française de la Logique de Hegel, , t. Ier, p. 41 et suiv.