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n’aurait pas le triste mérite d’être original, puisqu’il ne ferait que recommencer Gorgias. Toutefois ce genre de réfutation est trop aisé pour être sérieux, et au lieu de lancer l’anathème contre Hegel, il vaut mieux essayer de le comprendre.

Hegel a été frappé, comme tout esprit philosophe, des contradictions de la pensée humaine. Ce n’est pas lui, ni son maître Kant qui ont inventé les antinomies ; mais ils les ont fait ressortir avec une admirable profondeur. Qui ne sait combien l’idée d’un monde éternel confond l’imagination? et d’un autre côté, quoi de plus difficile à faire accepter à la raison pure que l’idée d’un commencement absolu des choses? Pareillement, si vous donnez des limites à l’univers, Descartes vous dira que vous enfermez l’œuvre de Dieu dans une boule; mais si vous vous hasardez, sur la foi de Pascal, à concevoir l’univers comme une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part, on vous accusera de témérité et de contradiction. Que dirai-je de l’antinomie de l’esprit et de la matière? Dieu est-il esprit? comment alors a-t-il fait la matière? Est-il matière? comment a-t-il fait l’esprit? Et l’antinomie de la Providence et du libre arbitre? Si Dieu agit sur le monde, comment ne fait-il pas tout? et si l’homme fait quelque chose, la Providence n’est donc pas toute-puissante? Certes elle serait longue la liste des antinomies, et je ne veux pas l’épuiser; mais j’en citerai une qui peut-être les renferme toutes : c’est l’opposition du fini et de l’infini. S’il y a un Dieu, ce Dieu est l’être infini, illimité, parfait; il est toute pensée et toute activité. Comment alors y a-t-il de la place pour autre chose? L’infini, par sa perfection même, ne peut sortir de soi. Or, s’il ne peut sortir de soi, la création est impossible et le fini n’est qu’une illusion. D’un autre côté, si vous posez le monde comme fini, il est clair qu’il ne se suffit pas à lui-même. Le fini suppose donc l’infini; mais en même temps il l’exclut, car étant hors de lui, il le limite, et en le limitant il le détruit.

Qui ne connaît pas ces oppositions est peu philosophe ; qui s’imagine en avoir la clé n’est pas modeste ; qui se persuade qu’à défaut de la philosophie, les dogmes de tel ou tel culte les font disparaître est sujet à illusion. Au surplus, je ne reproche pas à Hegel d’avoir essayé de résoudre les antinomies de la raison; c’était son droit de grand métaphysicien. Je dis seulement qu’il ne les a pas résolues, et que (dans son erreur même il a été beaucoup moins original qu’il ne l’a cru.

Rendons-lui cette justice qu’il n’a pas cherché à atténuer, à adoucir ou à tourner la difficulté. Loin de là, je dirais plutôt qu’il l’a grossie; c’est en l’abordant de front et en la poussant à bout qu’il a cru en triompher. La contradiction, s’est-il dit, est partout; elle