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sèrent en partant des invitations que Marie repoussa par horreur du bruit, que Marthe eut d’abord l’envie d’accepter, et qu’elle refusa tout de suite après, par le secours de la réflexion. On ne vit bientôt plus de calèches et de cavaliers autour de La Grisolle, et la petite ferme rentra dans l’isolement.

Dans ce même temps, Marthe, étant devant sa porte, bravement occupée à jeter du grain à une bande nombreuse de canards et de poules, fut tout à coup surprise par la visite de M. Favrel. La vue du bonhomme, qui la saluait bien bas, son chapeau à la main, lui rappela Valentin. Elle éprouva comme un remords de l’avoir oublié, et s’en excusa avec un élan où l’on sentait la sincérité de son cœur. — Vous me faites du bien en me parlant ainsi, dit le maître d’école, car c’est de Valentin justement que je viens vous entretenir ; vous me voyez en peine et tout chagrin à cause de lui.

— Serait-il malade ? demanda Marthe.

— Mieux vaudrait qu’il le fût, au moins saurait-on ce qu’il a. Il va, il vient, il ne se plaint jamais, et il dépérit que c’est une pitié. Je ne sais pas si vous le reconnaîtriez. J’ai beau lui offrir tout ce qu’il est en mon pouvoir de lui donner, il me remercie et n’accepte rien. Les amusemens que recherchent les jeunes gens de son âge ne lui plaisent pas. Vous ne le surprendrez jamais à la danse ou à la chasse. Demandez à Francion, qui voulait le conduire en forêt. Quelquefois il s’enferme dans la chambre que je lui ai arrangée sur la place du village, une chambre dans laquelle il y a des meubles qui viennent de Paris. Il y passe de longues heures à tailler des figures de bois. L’image faite, il la met dans un coin. J’en ai recueilli trente comme ça. Sa seule distraction est de se promener dans les champs ; il fait des lieues tout seul par-ci, par-là, ne parlant à personne.

— Comment se fait-il que je ne l’aie jamais rencontré ?

— Oh ! il vous a vue, et même il vous a saluée ; mais vous n’avez pas répondu à son salut, et il a craint de vous importuner en vous abordant.

— Voilà certainement une sottise au sujet de laquelle je le gronderai.

M. Favrel raconta à Marthe que Valentin n’était pas resté bien longtemps à Paris. Tout d’abord le timide jeune homme s’était vu en butte aux malices des élèves qui travaillaient dans le même atelier. On ne lui épargnait rien. Les rapins ne se montrent ni moins cruels ni moins inventifs que les écoliers dans l’art de tourmenter un camarade inoffensif. Les choses en vinrent à ce point que Valentin dut se battre. Le courage ne manquait pas à cet être bon et craintif, il le fit bien voir sur le terrain, où il blessa son adversaire ; mais la vue du sang l’effraya plus que celle des pistolets : elle le remplit d’horreur. Le séjour de l’atelier lui devint insupportable, et un ma-