Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens de Bretagne, répondit Jeanne ; après tout, il n’a jamais fait de mal à personne.

— Pourtant mon réséda s’est séché en une nuit parce qu’il a passé sous ma fenêtre, dit Annette, et mes pauvres basilics sont bien malades…

— Dame, répliqua Jeanne, tu lui as peut-être dit quelque chose qui l’a fâché… Voyons, n’aie pas peur ; il faut bien lui souhaiter le bonjour, puisque nous voilà tout près de lui. — Ça va bien, Mathurin ?…

— Pas mal, répliqua en souriant celui à qui s’adressaient ces bienveillantes paroles. Et chez vous, Jeanne ?…

— Comme de coutume, merci. Nous voilà au printemps, et vous avez encore sur le dos cette vilaine peau de bique qui fait peur aux petits enfans ?

— Et aux grandes personnes aussi, répondit tristement Mathurin. Si j’ai ma peau de bique sur le dos, c’est que j’ai couru ce matin avant le jour pour chercher mon cheval, qui ne paraissait point à l’heure accoutumée. Il lui est arrivé quelque aventure, car il a rompu ses entraves, et le voilà tout harassé.

— Peut-être quelque mauvais chien l’aura poursuivi, dit Jeanne,

— Ce sera plutôt quelque imbécile d’ivrogne qui aura voulu monter sur son dos, et la nuit, voyez-vous, cette bête-là ne connaît que moi… Malheur à qui la touche quand il ne fait plus clair !

— Jeanne, dit tout bas Annette en serrant toujours son pouce dans sa main, Jeanne, allons-nous-en donc ; j’ai peur… S’il allait nous entreprendre…

— Tais-toi donc, répliqua Jeanne ; il ne faut pas le quitter comme cela tout d’un coup. Eh bien ! Mathurin, au revoir ; nous avons encore de la route à faire.

— Vous allez peut-être bien aux Hautes-Fougeraies ?

— Oui.

— Je m’en doutais ; dans ces grosses métairies-là, il y a toujours de la besogne… Tenez, Jeanne, je vais vous faire un cadeau.

— Pourquoi cela ? demanda la jeune fille en rougissant.

— Parce que vous êtes bonne pour moi, parce que vous me parlez comme à un autre, parce que… Voilà de vraies aiguilles anglaises qui ne plient point, qui ne se cassent point… Prenez-les… Je les ai achetées à la foire de Saint-Julien de Vouvantes. Et vous, Annette, s’il vous fait plaisir d’en accepter un paquet ?

Annette recula d’un pas, tenant toujours son pouce plié dans sa main. Jeanne, moins effrayée que sa compagne, n’osa cependant refuser le cadeau ; elle ne voulait ni faire de la peine à Mathurin, ni s’exposer à quelque maléfice de sa part. Le plus doux des sorciers