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Chez un peuple doué d’une imagination ardente et d’un esprit subtil, il est bon que les partis ne dégénèrent point en coterie et ne s’immobilisent pas dans un exclusivisme étroit. En Espagne, où les questions personnelles jouent un si grand rôle, il semblerait, à tenir trop à l’écart ses adversaires, qu’on craint plus des concurrens qu’on ne repousse des doctrines. Loin d’en adresser un blâme au ministère O’Donnell, il faut donc lui savoir gré d’avoir fait sortir la majorité conservatrice en Espagne de l’ornière où elle paraissait marcher. La cause de la liberté n’a pas eu plus à en souffrir que la cause de la monarchie, et c’est au bruit d’applaudissemens unanimes que le président du conseil, dans la séance des cortès du 21 novembre 1860, a pu dire : « Sont ennemis de la dynastie ceux qui croient que le trône peut avoir un autre appui que les institutions libérales; sont ennemis du pays ceux qui croient la liberté possible sans la dynastie de doña Isabelle II. » L’examen de la conduite tenue par le parti conservateur transforme et agrandi offrira, nous en sommes assuré, des résultats aussi avantageux pour l’Espagne et pour les modérés eux-mêmes que la période écoulée de 1846 à 1851. Dieu veuille que de nouveaux et inutiles conflits, provoqués par des fautes ou des passions également regrettables, ne compromettent plus l’avenir d’un pays auquel il ne manque, pour reprendre son rang parmi les nations les plus favorisées et les plus glorieuses, que de le vouloir et de ne pas contrarier le destin !


I.

La tâche financière du gouvernement, — c’est de celle-là surtout qu’il s’agit, — présente en Espagne plus de difficultés qu’ailleurs. Dans la période qui date de l’année 1845, la prédominance du parti modéré se manifesta principalement par l’adoption de deux grandes mesures, le règlement de la dette publique et l’inauguration d’un système d’impôts et d’administration analogue au nôtre. Toute facile que dût être une telle entreprise, si l’on compare le chiffre des obligations de l’Espagne à l’étendue de ses ressources naturelles, on a compris cependant qu’elle nécessitait, pour être menée à bonne fin, une fermeté véritable et une fidélité jusqu’alors inconnue aux engagemens pris. L’Espagne avait une mauvaise réputation financière. Semblable aux fils de famille riches d’avenir, mais dénués de ressources présentes, elle n’avait trouvé qu’au dehors des prêteurs avisés, qui savaient faire payer leur obligeance. Comme sa signature circulait en tous lieux et passait par toutes mains, on avait calculé sur une ruine imminente là où n’existait qu’une gêne momentanée, et condamné même la bonne foi du pays d’après les irré-