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à cause de la couleur de la peau, condamnés au fouet, à la corde ou au bûcher s’ils osent penser à la liberté. Et cependant, si ces êtres ne parviennent pas à conquérir cette liberté sans laquelle on n’a pas même titre au nom d’homme, l’histoire du progrès s’arrête fatalement, les peuples restent voués aux luttes et aux discordes ; les enfans de la même terre continuent à se dévorer les uns les autres, et cette union des hommes entre eux, qui est l’idéal où tend l’humanité, trompera toujours nos espérances.

Le continent de l’Amérique septentrionale forme un imposant théâtre pour ce grand combat. Au centre s’étale le bassin fluvial du Mississipi, le plus beau sans doute du monde entier par la fertilité de son territoire, la douceur de son climat, le vaste développement de ses voies navigables, la rapidité sans exemple de son peuplement et de sa mise en culture. C’est dans ce beau pays, dont une moitié est cultivée par des esclaves, l’autre par des hommes libres, qu’aura lieu, selon toute apparence, la grande mêlée entre les fils de l’Europe et ceux de l’Afrique ; mais les rivages du Pacifique et de l’Atlantique, les deux Canadas, les plateaux et les montagnes des Rocheuses, le Mexique et cette belle traînée d’îles merveilleuses, Cuba, Haïti, la Jamaïque, Porto-Rico, les Antilles du vent et les Antilles sous le vent, sont aussi comme autant de laboratoires sociaux où la question brûlante de l’union des races et de la liberté se représente sous diverses formes. Semblable à un vaste cratère environné de nombreux cônes volcaniques, la république américaine, où peut monter comme une lave le flot de l’insurrection servile, est entourée de diverses régions, les unes où des scories brûlantes sont déjà sorties du sein de la terre, les autres où des tremblements précurseurs annoncent une éruption prochaine. L’histoire contemporaine du continent tout entier se confond avec celle de l’esclavage, et tous les peuples de la terre qui regardent par-delà les océans sont également intéressés à l’issue de la grande lutte, car les hommes sont solidaires les uns des autres ; l’avilissement des esclaves noirs est celui de tous les prolétaires, et leur affranchissement sera la plus belle des victoires pour tous les opprimés des deux mondes. Ainsi le problème de l’esclavage offre en lui-même un intérêt bien plus général que ne semble le révéler au premier abord la récente élection présidentielle.


I.

La condition vraie de l’esclave américain se révèle clairement dans le texte même des codes noirs tels qu’ils ont été promulgués, avec diverses variantes peu essentielles, par les législatures de la Louisiane, des deux Carolines et des autres états du sud. « L’esclave,