Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/871

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occupation de Rome et de Bologne par la France et par l’Autriche n’était une solution; mais c’était une combinaison préservatrice, destinée à détourner le péril ou à le limiter, et qu’on le remarque, à l’insuccès de chacune de ces tentatives correspond un pas nouveau vers la catastrophe.

C’est là qu’on en est venu. Aujourd’hui il y a évidemment en Italie des choses qui sont tombées lorsqu’elles auraient pu vivre, et qui, une fois tombées ne se relèveront pas ; il y a ce qui est du domaine de l’irréparable. L’Autriche reprendrait son ascendant par la puissance des armes, retrouverait sa domination tout entière et relèverait les souverainetés d’hier, que rien ne serait changé au fond. Tous ces membres palpitans de l’Italie chercheraient encore à se rejoindre; l’ère des conspirations et des agitations mystérieuses recommencerait, jusqu’à l’heure où se réveillerait plus invincible le mouvement qui depuis trente ans, à chaque explosion, est allé en croissant. Mais en même temps, au moment où nous sommes, les Italiens ne peuvent méconnaître qu’ils sont en face d’un problème d’où dépend peut-être l’issue de cette révolution à travers laquelle surgit une nationalité; ils ne peuvent oublier qu’il y a un point où ce qu’il y a de national dans le mouvement qui s’accomplit vient se heurter contre un intérêt puissant de religion, contre une juste inquiétude des consciences, — qu’il y a une question dont ils ne disposent pas seuls, qui appartient à l’univers catholique : c’est cette question que la France garde à Rome et dont elle sauvegarde le caractère universel. Les Italiens ne peuvent oublier que la papauté, elle aussi, est une grandeur pour l’Italie, et s’ils veulent voir cesser l’occupation de Rome, ils n’ont qu’un moyen : c’est de faire que la France n’ait plus rien à garder, de mettre hors de péril ce qu’il y a d’universel dans ce redoutable problème en assurant l’indépendance réelle du saint-siège vis-à-vis du monde catholique. Je n’ignore pas que les transactions ne sont point devenues faciles, surtout dans ces derniers temps, et cependant, s’il y a une solution, elle n’est que là, dans un effort suprême pour faire vivre ensemble deux choses qui répondent à des sympathies ou à des intérêts divers de l’Europe et du monde; car la papauté temporelle reviendrait aujourd’hui à Bologne et à Ancône, elle n’y régnerait plus que par la force jusqu’à une explosion prochaine, et d’un autre côté, par une rupture définitive avec la papauté, la cause italienne ne gagnerait rien : elle imposerait une souffrance de plus aux consciences religieuses, et elle perdrait un prestige en gardant peut-être une garantie d’avenir de moins.


CHARLES DE MAZADE.