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et leur bourse, la contrebande organisée en vraie puissance armée, les assassinats journaliers du petit nombre de fonctionnaires fidèles, l’esprit croissant de transaction avec les novateurs chez beaucoup d’employés municipaux, et même chez bon nombre de membres du sacerdoce, tout concourt à prouver une corruption politique générale. Ajoutez à ceci l’orgueil des habitans de cette province, qui, s’estimant eux et leur pays plus qu’ils ne sont, ne peuvent supporter d’obéir à ce qu’ils appellent le gouvernement des prêtres, et vous verrez combien il est nécessaire d’aviser promptement à des remèdes efficaces. » Ce qu’il y a de curieux, c’est que, de remèdes, le légat n’en voyait pas; la génération présente était à ses yeux une génération perdue. Et voilà comment il y a toujours une question romaine, que l’expédient temporaire des occupations a pu tenir en suspens sans la résoudre.

Un des faits remarquables de ce travail de séparation croissante entre le gouvernement pontifical et l’Italie, c’est sans nul doute cette guerre semi-religieuse, semi-politique, qui a malheureusement divisé depuis dix ans le Piémont et le saint-siège. Est-il vrai cependant, comme le dit M. l’évêque d’Orléans, qu’il y ait eu de la part du Piémont une combinaison suivie d’ambition astucieuse, une pré- méditation intéressée d’hostilité, — que le cabinet de Turin, en un mot, ait voulu à dessein entretenir ces querelles religieuses pour monter plus aisément à l’assaut des droits temporels du pape? En réalité, ces différends étaient en germe dans la position même que prenait le Piémont en 1848, en se faisant le soldat des instincts nationaux, en restant, même après Novare, le représentant de l’esprit libéral de l’Italie. Il n’y avait point évidemment d’hostilité systématique contre la souveraineté temporelle du saint-siège, ni même contre les autres souverainetés indépendantes de l’Italie, lorsque Gioberti, alors premier ministre de Charles-Albert et mû par un instinct politique qui ne fut pas compris, offrait de détourner momentanément l’armée piémontaise de l’Autriche pour l’employer au rétablissement des princes dépossédés au centre de la péninsule. « Partez promptement de Rome et allez à Gaëte, écrivait-il à un de ses agens; si vous voyez le saint-père, assurez-le que le gouvernement piémontais est fermement résolu à maintenir et à défendre par tous ses efforts la cause de l’ordre et de la monarchie constitutionnelle. Assurez-le que le pape et ses légitimes droits constitutionnels ne peuvent avoir un défenseur plus énergique et plus loyal que nous. Une intervention étrangère quelconque pourrait nuire à la dignité du saint-siège et de la religion en entraînant de grands maux pour l’Italie. L’intervention du Piémont au contraire n’aurait aucun de ces inconvéniens. Offrez donc au saint-père toutes les forces piémontaises... » M. de Falloux a levé récemment un coin du voile en