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riodiquement renouvelée entre le chef spirituel et le prince, que les biens ecclésiastiques sont imposés, par exception, sans que le principe soit engagé. Le souverain politique, dans son intérêt temporel, peut reconnaître la nécessité de coordonner l’administration de la justice, de composer les tribunaux de plusieurs juges, de créer des cours d’appel dans les provinces; mais aussitôt cette organisation est neutralisée et amoindrie par les tribunaux des diocèses, dont la juridiction s’étend à toutes les questions de propriété ecclésiastiques, de bienfaisance, de legs pieux, de conscience, de discipline des mœurs, — que les évêques composent comme ils veulent, d’un ou de plusieurs juges, et qui ne reconnaissent de tribunaux d’appel qu’à Rome, parce qu’ils ne relèvent que du pontife, de sorte que les essais timides ne font qu’ajouter à l’incohérence et la mettre en lumière.

Ce qu’il y a de dangereux dans cette confusion est venu, à un moment suprême et à la veille des plus solennelles épreuves, éclater dans un fait qui eût passé peut-être inaperçu en d’autres temps, et auquel la marche des choses donnait le caractère d’une révélation : c’est cette triste aventure de ce petit Juif de Bologne, enlevé parle saint-office sur la déclaration d’un baptême clandestin donné par une servante qui était elle-même un enfant, envoyé à Rome et désormais soustrait à la puissance paternelle. Il y a vingt ans, un cas semblable se présenta, où l’enfant toutefois était sous la protection de la France; on se sauva par une subtilité, en remettant le petit Juif au chargé d’affaires français, qui prenait l’engagement de le faire élever dans la religion catholique, bien que le cardinal-secrétaire d’état ne pût ignorer que rien n’était plus incompatible avec notre législation. Il y a deux ans, il semblait que tout concourût à rendre plus sensible le choc entre l’inflexibilité de la loi ecclésiastique et les droits les plus simples, les plus naturels de la famille.

J’ai entendu raconter en Italie qu’à cette époque, le représentant d’une des premières puissances de l’Europe s’était rendu au Vatican pour supplier le pape d’arrêter cette affaire, lui montrant le danger du retentissement pour la religion diffamée et calomniée, défendant le droit paternel. Pie IX écoutait ému, les larmes dans les yeux. Il sentait la vérité de tout ce qu’on lui disait, il sentait ce qu’il y avait de douloureux pour la famille, il ne méconnaissait pas le danger du bruit et des commentaires ennemis; mais en même temps il était lié par le devoir du prêtre. L’enfant devenu chrétien ne pouvait être rendu au Juif, et, montrant un crucifix, le saint-père ajoutait avec un accent de sincérité qui désarmait : « Celui-là me le défend! » C’était le résumé saisissant et malheureux de cette confusion venant aboutir aux perplexités touchantes du plus pieux des