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rapprochant des hommes qui parlent une même langue, qui vivent d’une même vie, sont doués du même génie et aspirent à une indépendance commune ; il peut y avoir tout au plus une guerre civile : il n’y a entre Italiens ni étrangers, ni guerre étrangère, ni conquête. Ce qu’on nomme l’agression usurpatrice du Piémont n’est point l’irruption conquérante dans le domaine d’un autre peuple ; c’est, selon le mot expressif du roi Charles-Albert dans une émouvante proclamation de 1848, « le secours que le frère doit au frère. » Et s’il est des droits particuliers de souveraineté pour leur malheur atteints dans la mêlée, ils sont du moins limités, on en conviendra, par cet autre droit supérieur d’un peuple agité de la passion de vivre. Ce n’est pas la première fois que des événemens ont pu être contraires au droit public sans être essentiellement contraires à la justice.

Un des caractères de cette terrible question italienne, c’est d’avoir été partout à la fois et de s’être concentrée, surtout au dernier moment, sous une plus saisissante forme à Rome et à Naples. À Naples, c’est un royaume qui disparaît ; dans les états pontificaux, c’est plus qu’un royaume, c’est l’existence temporelle d’une autorité enracinée dans la conscience du monde catholique qui s’affaisse, et je n’ignore pas que Rome, malheureusement plus que Venise peut-être encore, c’est la difficulté de l’Italie. S’il n’y avait dans cette crise qu’une série de faits accomplis par la force et par la violence, ce serait assurément un déshonneur de l’opinion de s’asservir à cette brutale puissance. Comment se fait-il cependant que devant un mouvement qui bouleverse en apparence tous les droits et toutes les conditions de l’ordre politique existant, qui supprime des souverainetés, où le destin temporel de la papauté elle-même est en jeu, comment se fait-il, dis-je, que devant ce mouvement l’Europe s’arrête étonnée et inerte, se bornant à de vaines protestations, que l’opinion se laisse entraîner, que beaucoup de catholiques eux-mêmes refusent de mettre les intérêts de leur foi dans une lutte à outrance contre la logique des choses, et qu’enfin il fût au moins très difficile, sinon impossible, de ressusciter un congrès de Laybach pour signifier à l’Italie qu’elle a tort de vouloir être l’Italie ? C’est qu’il faut évidemment que cette révolution ait une autre puissance, une autre légitimité que celle du fait accompli, que de si étranges événemens aient une bien autre cause que le hasard d’une commotion soudaine provoquée par une ambition intéressée, et que dans cette crise il n’y ait d’imprévu que l’heure où elle a éclaté et la manière dont elle marche au dénoûment.

Je parle avant tout de Rome. Et d’abord ne dirait-on pas quelquefois que c’est la dernière guerre, œuvre de la France et du Piémont, qui a créé pour le saint-siège la situation compromise où il