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jouissaient si fort de la paix de Villafranca pour le saint-siège, parce que cette paix, disaient-ils, laissait une puissance conservatrice en Italie, ceux-là jugeaient les événemens avec plus de passion entêtée que de clairvoyance. De toutes les fractions de l’opinion, la plus intéressée à la libération complète de l’Italie, c’est-à-dire à l’exclusion définitive de l’Autriche, était assurément l’opinion catholique, car cette libération simplifiait singulièrement la situation du saint-siège au-delà des Alpes; elle mettait fin surtout à cette solidarité d’esprit et de politique qui rend la papauté toujours suspecte comme pouvoir national. On ne l’a pas vu, et on s’est réjoui trop vite après Villafranca.

La présence de l’Autriche dans la Vénétie, en laissant debout la question de l’indépendance, était pour les Italiens la démonstration saisissante de la nécessité de l’union, de l’impossibilité des restaurations, et, s’il faut le dire, elle tuait dans le germe cette fédération à laquelle elle semblait se lier. La nature des choses était ici plus forte que la bonne volonté des négociateurs et même que le désir de la France. Que pouvait être effectivement une fédération sous ces auspices? Sans Venise, elle n’était qu’une mutilation de la nationalité italienne; elle était impossible, à moins d’être une combinaison de guerre pour recommencer bientôt le combat de l’indépendance, ce que n’admettait pas la politique déclarée du saint-siège. Avec Venise, c’était la possibilité d’une domination nouvelle et en quelque sorte légale de l’Autriche pesant sur l’Italie du poids direct de sa puissance, de sa situation en Europe, et du poids indirect de son influence sur des principautés feudataires, sur des souverainetés inquiètes, jalouses, d’autant plus portées à se serrer autour de leur protecteur impérial qu’elles venaient d’échapper avec lui à une plus imminente catastrophe. En un mot, c’était toujours la terrible alternative : l’Italie autrichienne ou l’Italie italienne jusqu’à l’Adriatique.

Lorsque les Italiens, ne prenant conseil que d’eux-mêmes et sous l’inspiration de leur responsabilité, s’engageaient dans un mouvement si contraire en apparence à la paix de Villafranca, ils n’obéissaient donc pas à un futile caprice ou à l’enivrement d’une passion de secte; ils cédaient à un sentiment profond et calculé de leur situation, outre qu’ils saisissaient une occasion telle qu’il n’en fut jamais, telle que jamais la fortune n’en pourrait accorder dans l’avenir. La question n’était pas pour eux de se lier à une fédération où d’inévitables incompatibilités n’engendreraient que faiblesse; il s’agissait avant tout de rassembler le plus de forces possible en présence de l’Autriche retranchée derrière ses lignes du Mincio et du Pô, de constituer ce royaume fort qui a été le mot d’ordre des pre-