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comme exilé en 1815, revenait à Rome en 1845 comme ambassadeur de la France, il n’hésitait point à le dire, avec un étonnement mêlé d’une vieille joie patriotique, au gouvernement qui l’envoyait. « Le sentiment national, écrivait-il, a pris depuis trente ans un tel essor en Italie, que moi-même, qui croyais connaître ce pays, j’en ai éprouvé de la surprise... Dans dix ans, dans vingt ans, il n’y aura pas dans les états italiens un homme, une femme, un fonctionnaire, un magistrat, un moine, un soldat, qui ne soit avant tout national. »

Ces dix ans de trêve que Rossi laissait entrevoir dans le secret de ses hardis et vifs entretiens diplomatiques, ces dix ans sont passés, et la lumière de ces paroles prophétiques rejaillit sur les événemens actuels. L’unité italienne elle-même, qu’on ne s’y trompe pas, l’unité telle qu’on la voit sortir aujourd’hui tout armée du sein de la péninsule, n’est que le dernier mot de ce travail toujours actif, quoique parfois invisible, et rigoureusement on pourrait dire que la première, la plus énergique et la plus efficace promotrice de cette idée, depuis dix ans surtout, a été l’Autriche par la nature et l’étendue de sa domination. Des Alpes au Phare, à Florence ou à Bologne, à Modène ou à Parme, qui rencontraient les Italiens au détour de toutes leurs espérances, au bout de chacun de leurs vœux les plus simples? L’Autriche toujours mettant le sceau de son omnipotence sur de petites et craintives souverainetés sans cesse en guerre avec leurs populations. Ainsi s’est développé et a grandi l’instinct de solidarité entre Italiens de tous les états, Toscans ou Romagnols, Napolitains ou Lombards; les uns et les autres ont senti qu’à travers des démarcations factices de territoires tout était commun entre eux, que leur faiblesse et leur asservissement venaient d’un morcellement arbitraire, qu’il n’y avait pour eux à espérer de réformes intérieures vraies, sûres et durables, que par la solution de la première de toutes les questions, celle de l’indépendance, que la souveraine nécessité en un mot était dans l’union pour opposer le faisceau de toutes les forces et de toutes les résistances à un même danger : de sorte que, par le fait, c’est l’Autriche qui a contribué bien plus que M. Mazzini à répandre, à populariser cette idée de fusion, et à préparer les esprits en les accoutumant à mettre au-dessus d’une petite nationalité locale sans garantie la grande et commune nationalité. Je ne veux point revenir sur une vieille histoire qui plus que jamais, je l’espère, est de l’histoire; je ne veux que la montrer dans son rapport avec l’explosion de ce sentiment unitaire qu’on a cru l’œuvre d’un artifice soudain et violent, et qui n’est que l’irrésistible conséquence de tout un ordre de faits. En réalité, l’unité de la domination étrangère, présente partout à la fois, a provoqué l’unité du sentiment national. On ne l’a pas caché : « L’idée de l’union, a dit