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par sa répugnance à s’entretenir de pareils sujets, semble indiquer que pour son compte il ne croyait à rien au-delà de cette vie, on sait que ses compatriotes enterrent le mort avec son arc et ses flèches pour qu’il puisse chasser, et que pour eux le paradis est un lieu où ils trouveront sans cesse du gibier en abondance. Chez les Hottentots proprement dits, on a reconnu la croyance à un bon et à un mauvais principe, tous deux personnifiés et portant des noms particuliers; on a recueilli des traditions sur l’origine de l’homme; on a constaté maintes fois la croyance à une autre vie, démontrée par les prières adressées aux grands hommes, par la crainte qu’inspirent les esprits des morts, etc. Soutenir la thèse que je combats est donc en réalité impossible. Et si quelque auteur, s’appuyant sur des négations hasardées, refusait encore la religiosité aux races de l’Afrique méridionale, il suffirait de répondre par les paroles si explicites du plus intrépide explorateur moderne de ces régions. Voici ce que dit à ce sujet le docteur Livingstone : « Quelque dégradées que soient ces populations, il n’est pas besoin de les entretenir de l’existence de Dieu, ni de leur parler de la vie future; ces deux vérités sont universellement reconnues en Afrique. » Le voyageur entre à cet égard dans quelques détails précis, puis il ajoute : « L’absence d’idoles, de culte public, de sacrifice quelconque chez les Cafres et chez les Béchuanas fait croire tout d’abord que ces peuplades professent l’athéisme le plus absolu[1]. »

On le voit, après avoir rectifié l’erreur, Livingstone l’explique, et cette explication s’appliquerait bien probablement aux quelques cas analogues signalés chez les peuplades de l’Amérique méridionale. Ici encore, aux assertions parfois contradictoires de certains voyageurs, on peut opposer le témoignage de celui qui s’est le plus occupé de l’homme américain, et a publié sous ce titre même un ouvrage à bon droit devenu classique. « Quoique plusieurs auteurs, dit A. d’Orbigny, aient refusé toute religion aux Américains, il est évident pour nous que toutes les nations, même les plus sauvages, en avaient une quelconque. » Ces paroles se justifient chaque jour, et jusqu’au sein des forêts cent fois séculaires de l’Amazone, chez ces tribus dont les mœurs atroces nous révoltent le plus, la notion d’un monde et d’êtres supérieurs, celle de la persistance après la mort physique d’une partie de notre être, se constatent davantage à mesure que nous parvenons à pénétrer quelque peu le secret de ces solitudes[2]. Quant aux populations de l’Asie, on leur a toujours

  1. Un peu plus loin, Livingstone ajoute : « Plus on avance vers le nord, plus les idées religieuses des naturels sont développées. »
  2. Voyez en particulier l’Histoire abrégée du Brésil, par M. Ferdinand Denis, qui a résumé les documens recueillis sur les peuples originaires de ces contrées.