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chiens affectueux, caressans, aimans, peut-on dire; tous nous en avons rencontré qui étaient colères, hargneux, jaloux, haineux... C’est peut-être par le caractère que l’homme et l’animal se rapprochent le plus.

Où trouverons-nous donc ces faits jusqu’ici sans précédens, ce quelque chose complètement étranger à l’animal, appartenant exclusivement à l’homme, et motivant ainsi pour lui seul l’établissement d’un règne à part? Pour résoudre cette difficulté, faisons comme les naturalistes : rendons-nous compte de tous les caractères de l’être qu’il s’agit de déterminer. Nous ne nous sommes encore occupé que des caractères organiques et intellectuels; il nous reste à parler des caractères moraux. Ici apparaissent tout de suite deux faits fondamentaux dont rien encore n’avait pu nous donner une idée.

Dans toute société où il existe un langage assez parfait pour exprimer les idées générales et abstraites, nous trouvons des mots destinés à rendre les idées de vertu et de vice, d’homme de bien et de scélérat. Là où la langue fait défaut, nous rencontrons des croyances, des usages prouvant clairement que, pour ne pas être rendues par le vocabulaire, ces idées n’en existent pas moins. Chez les nations les plus sauvages, jusque dans ces peuplades que d’un commun accord on place aux derniers rangs de l’humanité, des actes publics ou privés nous forcent à reconnaître que partout l’homme a su voir à côté et au-dessus du bien et du mal physiques quelque chose de plus élevé; chez les nations les plus avancées, des institutions entières reposent sur ce fondement. La notion abstraite du bien et du mal moral se retrouve ainsi dans tous les groupes d’hommes. Rien ne peut faire supposer qu’elle existe chez les animaux. Elle constitue donc un premier caractère du règne humain. Pour éviter le mot de conscience, pris souvent dans un sens trop précis et trop restreint, j’appellerai moralité la faculté qui donne à l’homme cette notion, comme on a nommé sensibilité la propriété de percevoir des sensations.

Il est quelques autres notions se rattachant généralement les unes aux autres, et que l’on retrouve dans les sociétés humaines même les plus restreintes. Partout on croit à un monde autre que celui qui nous entoure, à certains êtres mystérieux d’une nature supérieure qu’on doit redouter ou vénérer, à une existence future qui attend une partie de notre être après la destruction du corps. En d’autres termes, la notion de la Divinité et celle d’une autre vie sont tout aussi généralement répandues que celle du bien et du mal. Quelque vagues qu’elles soient parfois, elles n’en enfantent pas moins partout un certain nombre de faits significatifs. C’est à elles que se rattachent une foule de coutumes, de pratiques signa-