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humains, rien de plus simple en apparence que de faire de ces groupes autant d’espèces différentes et de leur assigner des origines distinctes. Cette solution est séduisante, elle est bien simple et semble répondre à tout; mais qu’on aille quelque peu au fond des choses, et les conséquences qu’elle entraîne en feront vite ressortir l’inexactitude pour tout esprit non prévenu. En effet elle conduirait à regarder les lois qui régissent l’organisme humain comme étant en contradiction, sur plusieurs points d’une importance capitale, avec les lois auxquelles obéissent tous les autres organismes vivans. En regardant au contraire ces groupes comme dérivés d’un type primitif unique, la diversité apparaît d’abord comme un problème des plus ardus; mais la comparaison avec les plantes, avec les animaux, nous enseigne bientôt que ce fait n’est pas isolé, qu’on le retrouve dans les deux règnes organiques universellement admis, et que les lois de la physiologie ordinaire l’expliquent sans trop de peine, au moins dans ce qu’il a de général. Ces mêmes lois concordent sur tous les autres points avec la doctrine monogéniste, autant qu’elles sont en opposition avec la théorie polygéniste. En présence d’un pareil résultat, il ne paraît pas possible d’hésiter.

Les polygénistes ont bien senti tout ce qu’avait de menaçant pour leurs idées l’application des sciences naturelles à l’étude de l’homme. Aussi quelques-uns d’entre eux ont-ils opposé d’avance une fin de non-recevoir à toutes les conséquences qu’on pourrait en tirer. Ils ont présenté l’homme comme un être exceptionnel et déclaré qu’il était à tous égards en dehors des lois générales. D’autres, comprenant ce qu’une semblable assertion avait d’insoutenable, se sont efforcés de dissimuler l’antagonisme réel qui existe entre ces lois et le polygénisme. Ceux-ci sont nos plus sérieux adversaires. Comme nous, ils invoquent la science, et c’est en son nom qu’ils proclament la multiplicité des espèces d’hommes. Combien cette affirmation est peu fondée, c’est ce qu’il importe de démontrer; mais avant tout, pour que le débat soit sérieux, pour qu’il ne dégénère pas en une simple lutte d’assertions contradictoires, il faut rappeler au moins les principales règles physiologiques, les faits les plus essentiels qui trouvent ici leur application; il faut résumer à ce point de vue l’histoire des animaux et des végétaux eux-mêmes. On n’arrive ainsi à l’homme que par une voie un peu détournée en apparence, mais cette voie est la seule sûre, et ceux qui auront bien voulu la parcourir avec nous reconnaîtront que l’unité de l’espèce humaine n’est pas seulement un point de doctrine philanthropique inspiré par les sentimens les plus honorables, une conception philosophique élevée, un dogme respectable par cela seul qu’il se rattache aux croyances religieuses de la plus noble portion de l’humanité, mais que cette unité est surtout une grande et sérieuse vérité scientifique.