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dans la Genèse et se fondant sur les différences qu’on a de tout temps signalées entre eux, il regarde le premier comme se rapportant à la création des gentils, le second à l’origine du peuple que Dieu avait choisi entre tous les autres. Les gentils, créés les premiers, au sixième jour de la grande semaine, en même temps que les animaux, appartiendraient en quelque sorte à la création générale. Ils auraient été formés comme tous les autres êtres et tirés comme eux de la matière du chaos. Ils auraient apparu en même temps sur la terre entière, et aucun d’eux n’aurait jamais pénétré dans le paradis terrestre. Adam, le premier Juif tiré du limon de la terre, Eve formée avec une côte d’Adam, n’auraient vu le jour qu’après le repos du septième jour. Seuls ils auraient habile le jardin d’Eden, seuls par conséquent ils se seraient rendus coupables du péché contre la loi en violant la défense qui leur avait été faite. Les autres hommes, innocens à cet égard, n’en étaient d’ailleurs pas moins coupables de péchés naturels. L’auteur trouve cette distinction confirmée par un passage de saint Paul[1].

A l’appui de son hypothèse fondamentale, La Peyrère n’invoque pas seulement le texte même relatif aux premiers jours du monde; ses argumens les plus précis sont tirés surtout de l’histoire d’Adam et de sa famille. Jusqu’à l’âge de cent trente ans, la Genèse ne donne à celui qu’on est habitué à regarder comme le premier homme pas plus de trois fils, et les paroles qu’il prononce lors de la naissance de Seth ne peuvent laisser de doute à cet égard. Plus tard seulement il a des fils et des filles. Or, après le meurtre d’Abel, Seth n’étant pas encore venu au monde, la famille d’Adam ne comptait que trois personnes. Cependant Caïn, chassé par Dieu et condamné à errer sur la terre, témoigne la crainte d’être tué par quiconque le trouvera. Dieu met en conséquence un signe sur Caïn, et déclare que celui qui le tuera sera puni au septuple. Caïn pouvait donc rencontrer en effet des ennemis? — Caïn, en s’éloignant, emmène sa femme. D’où venait cette femme? Jusqu’à cette époque, Adam n’avait eu d’autres enfans que celui qui fuyait après un crime et celui qui en avait été la victime... Il fallait bien qu’il y eût d’autres familles à côté de celle d’Adam. — Enfin à peine Caïn a-t-il eu un fils qu’il bâtit une ville. Il fallait donc qu’il eut trouvé des compagnons pour la construire, pour la peupler. — De tous ces faits, l’auteur conclut qu’il existait des hommes en dehors de la famille adamique ou juive, et que ces hommes, répandus dès lors sur toute la terre, n’étaient autre chose que les gentils, ces premiers venus de la grande création, et toujours si nettement distingués du peuple de Dieu, des Juifs.

  1. Épitre aux Romains, chapitre V, versets 12, 13 et 14.