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du cœur, malgré les paroles, les haines sont des haines d’Irlandais à Irlandais. Le service anglais est populaire en Irlande, l’armée anglaise casernée en Irlande y est populaire. Dans le temps où les assassinats étaient le plus fréquens, les officiers anglais pouvaient sans danger parcourir toutes les routes, tandis que les propriétaires irlandais étaient traqués à chaque coin et poursuivis dans leurs maisons. Quand le paysan irlandais a une affaire, c’est au magistrat payé qu’il s’adresse; quand il exprime un vœu, c’est celui de voir le gouvernement devenir arbitre entre lui et le propriétaire. Telle que les guerres civiles, les guerres religieuses et l’oppression ont fait l’Irlande, le gouvernement anglais y est devenu un modérateur. Les difficultés sont diminuées, adoucies, et peuvent être successivement résolues par un parlement-uni; elles seraient exaltées et deviendraient invincibles avec un parlement séparé. Un parlement dans College-Grecen c’est la guerre civile, c’est la guerre sociale. La masse des propriétaires est protestante, la masse du peuple est catholique. Si le parlement devient local, la majorité voudra opprimer la minorité, comme jadis la minorité a opprimé la majorité. Qu’on ne dise pas que l’Irlande a eu autrefois un parlement, et que, libre, elle peut être indépendante comme elle le fut opprimée. L’émancipation des catholiques n’existait pas alors. La représentation sincère de l’Irlande date du bill d’émancipation, sa liberté de l’union. Si le voisinage de l’Angleterre a été fatal, s’il a donné l’oppression, il permet aujourd’hui qu’une nation tourmentée par la discorde soit appelée à jouir de la plénitude de la liberté. Doit-on repousser le bien parce qu’on a subi le mal? et rejeter la liberté par haine contre l’oppression, par un fol amour de nationalité?

Tout est compliqué en Irlande, tout est mystérieux, comme les lois Bréon, dont chacun invoque le souvenir, et que personne n’a lues. Vous voyez l’Irlande agitée et mécontente, vous croyez qu’elle est opprimée. Vous l’entendez jeter à l’Angleterre la menace et le défi, vous croyez qu’elle est prête à courir aux armes, et bien des gens se demandent si ce mécontentement et cette rébellion ne seraient pas d’un grand secours dans le cas d’une guerre contre l’Angleterre. La pensée est peu aimable, et l’illusion serait grande. Ce ne sont pas seulement les quinze cent mille protestans d’Irlande qu’on aurait contre soi, ce sont les propriétaires, les fermiers, tous ceux qui possèdent, et jusqu’au clergé catholique lui-même. Peut-être, si une armée étrangère, catholique et dévouée au saint-siège, parvenait à débarquer au sud ou à l’ouest, et était assez nombreuse pour faire croire à un succès durable, le peuple des villes et des campagnes l’accueillerait-il avec joie, et peut-être l’accompagnerait-il en poussant des hurras ; mais il ne prêterait aucun secours à