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terre par les herbages, et mettre l’Irlande dans une condition telle que la terre puisse donner un revenu au propriétaire, un profit au fermier, un salaire à l’ouvrier? On marche de ce côté. Beaucoup de petites fermes ont été réunies pour en former de grandes, beaucoup d’habitations de fermiers ont été construites; la classe des middle-men disparaît et fait place à des agens ou régisseurs pris parmi les cadets des meilleures familles irlandaises et anglaises, qui administrent directement la terre pour le compte du propriétaire. Ce changement partiel explique le phénomène que j’ai déjà signalé : un pays qui s’enrichit en même temps qu’il se dépeuple, l’accroissement de la production et de la consommation suivant la décroissance de la population. Les motifs qui devaient autrefois retenir n’existent plus, ou du moins sont affaiblis; ce qui était impossible est devenu possible, ce qui était inhumain est devenu raisonnable. Le pauvre peut trouver un salaire; l’émigration entraîne le surplus de la population. Il serait insensé de persévérer dans un système qui a causé la ruine universelle et fait ennemis les enfans d’une même terre. Toutefois les passions populaires résistent. L’Irlandais, qui se transforme en débarquant en Amérique ou en Australie, garde chez lui ses vieux préjugés. Il lui répugne étrangement d’échanger la culture de ses pommes de terre contre un salaire dont le maintien ne lui paraît pas assuré. Ses instincts sont pour le régime de la famine tempéré par l’assassinat; on doit s’attendre à des luttes et à des crimes. N’importe; il n’y a que les sauvages qui tuent leurs pères parce qu’ils le demandent.

Le parlement a fait pendant la famine et les années qui l’ont suivie tout ce qu’un gouvernement pouvait faire. Il a prêté, avancé et donné de l’argent pour l’entretien d’ateliers nationaux qui ont compté jusqu’à trois millions d’individus; il a institué la loi des pauvres; il a organisé les dispensaires paroissiaux; il a, sous des formes diverses, donné des fonds à l’agriculture et stimulé les améliorations agricoles. Devait-il violer le droit de propriété? Devait-il s’opposer à ce que les propriétaires tirassent un bon parti des terres. dans leur propre intérêt et dans l’intérêt public? Il ne le devait pas, il ne le pouvait pas. Les accusations adressées sur ce point à l’Angleterre sont souverainement injustes. Cependant c’est chose dure, l’inertie en face du malheur. Le droit des fermiers était devenu le cri de ralliement, comme autrefois le rappel de l’union. Il fallait calmer les passions, et l’on pouvait tourner deux obstacles : ceux qu’opposaient les substitutions, qui font d’un grand nombre d’entre les propriétaires de simples usufruitiers et leur inspirent des sentimens d’usufruitiers, et l’absence de bail ou de conditions dans les baux. M. Cardwell, secrétaire d’état pour l’Irlande, a proposé au