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qui disparaissent au milieu de cette vaste catégorie de crimes qu’on appelle les faits accomplis. Le catholique irlandais, qui paie au ministre anglican sa contribution forcée et au prêtre catholique sa contribution volontaire, est sans cesse rappelé au souvenir de l’injustice dont il est victime; il se sent fils de vaincu et se croit opprimé. Le clergé catholique, vivant de l’aumône des misérables, ne peut rester étranger aux passions populaires; il lui faut exciter les haines catholiques pour résister aux haines protestantes. Je crois fort exagérées, souvent calomnieuses, les accusations portées contre la conduite politique du clergé catholique d’Irlande : je n’ai, pour mon compte, été témoin que de sa résistance aux actes coupables, et je l’ai vu faire un noble usage de son autorité morale; mais la situation du clergé catholique provoque d’elle-même l’agitation, et l’agitation en Irlande conduit à la misère, quelquefois au crime. Rendue à la liberté civile par le retrait des lois pénales, à l’égalité politique par le bill d’émancipation, l’Irlande ne sera sincèrement unie à l’Angleterre que le jour où une transaction aura fait disparaître l’inégalité des clergés. Le second Pitt et sir Robert Peel le pensaient; tous les hommes d’état anglais dignes de ce nom en sont convaincus. Sans doute la difficulté est grande; elle n’est pas de celles qui s’accomplissent dans les temps ordinaires, et qu’affrontent des hommes ordinaires. D’un côté, le clergé catholique d’Irlande craint de tomber dans la dépendance, et s’oppose à toute transaction; d’un autre côté, le protestantisme anglais fait cause commune avec le protestantisme irlandais, et n’admet pas que l’Irlande ait, comme l’Ecosse, une religion nationale. On est entre une difficulté, presque une impossibilité, et une nécessité. Justice ne sera donc rendue sur ce point à l’Irlande que le jour où l’Angleterre sera menacée d’un danger extérieur, pour tout dire, quand elle aura à craindre une guerre de la France. Les Irlandais le savent, toutes leurs libertés ont été conquises par des menaces d’insurrection ou d’agitation. Les Anglais le savent aussi; ils sont un peuple qui obéit à la nécessité. Mieux vaudrait assurément donner à la justice ce que l’on accordera plus tard à la crainte ; mais les gouvernemens et les peuples sont ainsi faits : ils ne deviennent justes que quand l’injustice les met en péril.

La question des biens du clergé écartée, tous les griefs de l’Irlande sont des griefs sociaux, des maux que l’injustice et le temps ont faits, et que la justice ne peut réparer qu’avec le temps : l’état de la propriété, l’état du fermage, la misère.

Il est à peine besoin de le dire, le socialisme en arrière est le plus absurde de tous les socialismes. C’est d’hier qu’ont été, en France, confisqués et vendus les biens d’émigrés. Personne n’oserait demander que les fils des nouveaux possesseurs soient dépouillés au