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signifient des souvenirs de race qui ne reposent ni sur un titre ancien ni sur une puissance ancienne, mais sur l’aptitude qu’ont eue jadis les membres de certaines familles à conquérir un titre ou une puissance. En Irlande même, les idées sont à cet égard assez confuses : le préjugé n’existe que d’une façon générale; individuellement, un lord est un personnage plus populaire qu’un descendant des rois d’Irlande. Cela vient de ce que, — tous les hommes d’un clan portant le même nom, — si la famille n’a pas reçu un titre anglais, il est assez difficile de savoir qui est fils de chef, qui de simple guerrier. Les Mac-Mahon ne sont pas dans ce cas. On sait la date de la concession primitive faite par la couronne d’Angleterre à leur ancêtre, et une anecdote douloureuse apprend dans quelles circonstances le dernier chef du Corcovasin de l’ouest quitta l’Irlande. Le maréchal Mac-Mahon est donc le petit-fils d’un homme qui abandonna ses terres et son pays pour rester fidèle à sa religion et à son roi. Qu’il s’agisse de réfugiés de l’édit de Nantes ou de jacobites d’Irlande, toutes les fois qu’on voit prospérer ceux dont les pères ont sacrifié leur fortune à leurs principes, on se réjouit, et l’on remercie la Providence de ne pas toujours donner le spectacle du succès de la bassesse.

Il est difficile d’expliquer l’état de l’Irlande. On est libre, on se relève de la détresse, on est presque calme, et l’on ne parle que d’oppression, de misère et de rébellion. Ce qu’on entend est-il l’écho de la douleur passée ou le cri de la douleur présente? La déclamation joue un grand rôle, elle est la forme du langage; cependant tout n’est pas déclamation. Si l’oppression a disparu, il reste les conséquences de l’oppression, il reste les sentimens créés par l’oppression. L’Irlande n’est libre que depuis hier; il lui faut faire en quelques années les progrès que l’Europe a mis des siècles à réaliser. Cette révolution soudaine trouble les habitudes du malheur et de la souffrance, elle heurte les sentimens. Il y a des choses que le temps seul peut achever. La justice n’a pas réparé tous les maux causés par l’injustice, et une société ancienne par le cœur souffre à devenir une société moderne.

La race irlandaise a tous les charmes : la grâce, l’éloquence, la beauté, le malheur; elle succombe sans se résigner, et garde les souvenirs à défaut des espérances. C’était trop pour elle d’avoir à vaincre la nature sous un climat énervant, dans une atmosphère chargée de tempêtes, tels que sont le climat et l’atmosphère de l’Irlande. Le destin a voulu qu’elle fut associée à une race rude et forte, inférieure par l’imagination, supérieure par les qualités positives, moins prompte à courir au combat, mieux faite pour la victoire. Si l’oppression a cessé, si l’Angleterre, après des siècles, a donné à l’Irlande la liberté et l’égalité nationales, l’Anglais con-