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phane. » C’est ainsi que M. Fallex a compris sa tâche. A chacune des comédies du maître il emprunte ses situations les plus originales, ses dialogues les plus vifs, et cette galerie de scènes bouffonnes nous révèle tout d’abord quelle était l’abondance de la veine comique chez l’auteur des Chevaliers et de l’Assemblée des femmes. Nous savions bien qu’Aristophane avait traité tour à tour la comédie politique, la comédie de mœurs, la comédie littéraire, qu’il avait attaqué les innovations de la philosophie, qu’il avait bafoué le socialisme de ses contemporains; peut-être avait-on moins remarqué combien le poète rassemble de petites comédies particulières dans chacune de ses œuvres. M. Fallex en trouve jusqu’à trois dans les Chevaliers; il les intitule l’Homme d’état malgré lui, un Succès de tribune devant le peuple athénien, et A corsaire corsaire et demi. Voici dans les Acharniens deux comédies à côté l’une de l’autre : la première s’appelle une Séance à l’assemblée d’Athènes, la seconde est intitulée Petits Inconvéniens des grandeurs militaires. Les Nuées, les Guêpes, la Paix, les Oiseaux, les Fêtes de Cérès, les Grenouilles, l’Assemblée des femmes et Plutus passent ainsi tour à tour devant les yeux du lecteur, avec leurs tableaux comiques très ingénieusement mis en relief.

N’y a-t-il pas un peu trop d’art dans cette combinaison ? La puissance des peintures aristophanesques n’est-elle pas un peu diminuée dans cette distribution par fragmens? Je sais tout ce que l’on peut dire contre le système des morceaux choisis. Au point de vue de l’histoire et de la critique, rien ne saurait remplacer l’étude complète d’un poète comme celui-là ; au point de vue de la beauté littéraire, il fallait nécessairement faire un choix. M. Fallex n’a pas un culte superstitieux pour les anciens; sans parler des choses que la morale condamne, il sait bien qu’il y a dans ce poète tant admiré de Platon plus d’une page vulgaire et insipide. « Comment, s’écrie-t-il, transporter en bloc dans notre littérature ces comédies toutes de fantaisies burlesques et d’imaginations bizarres ou surannées? A quoi bon donner d’un bout à l’autre ces pièces dépourvues d’intérêt dramatique, ce vaste échafaudage d’épigrammes, d’allusions, de violences, de personnalités perdues pour nous? Et quel profit à dévoiler ces tableaux cyniques, ces peintures farcies d’obscénités et d’ordures, qu’il faut laisser dans la langue qui les a produites, chez le peuple qui a pu les tolérer ou les applaudir? » Rien de plus juste; voulant faire lire Aristophane, il fallait bien qu’il en retranchât tout ce qui est inintelligible ou rebutant. Ce qu’on justifierait moins aisément, ce sont ces titres tout modernes, ces étiquettes dans le style du jour, ces dénominations inattendues qui font ressembler la liste des scènes d’Aristophane à quelque programme de nos théâtres. L’auteur des Guêpes et des Nuées aurait-il intitulé une de ses comédies Un Congrès, et cette autre Apologie des femmes par elles-mêmes? Aurait-il mis sur la scène le Communisme en théorie, le Communisme en pratique, l’Homme d’état malgré lui, le Dieu sans le savoir? Je sais bien l’excuse de M. Fallex, il a vu là un moyen de piquer la curiosité du public. C’est une façon vive et brusque de dire à son lecteur ; «Ne t’arrête pas à cette première page, lis encore, lis jusqu’au bout, tu verras qu’Aristophane a bafoué des travers, des vices, des folies dont nous sommes encore les témoins et quelquefois les victimes. De te fabula narratur. La scène est indifféremment dans Athènes ou à Paris. » Ce qu’un autre