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de toute espèce. Il faut donc, comme les Anglais l’ont fait à Hong-kong, comme nous venons de le faire nous-mêmes aux îles Marquises, y fonder un établissement militaire pour notre marine, un entrepôt pour notre commerce... » Les vues du gouvernement s’étaient portées sur la petite île de Bassilan, située au sud-ouest de l’archipel des Philippines. L’exploration à laquelle se livra M. de Lagrené, de concert avec l’amiral Cécille, était de nature à encourager les projets d’occupation. Malheureusement, en présence de la situation générale de l’Europe et des embarras intérieurs de la France en 1845, on crut devoir renoncer à cette partie du programme politique tracé dans les instructions de 1843. Les argumens que faisait valoir à cette époque M. Guizot s’appliquent encore à la situation actuelle. Il n’était pas inutile de les rappeler au moment où les intérêts de la France se trouvent si gravement engagés dans l’extrême Orient.


CH. LAVOLLEE.


UNE NOUVELLE TRADUCTION d’ARISTOPHANE[1]


Le temps est passé où l’on parvenait aux plus hautes dignités littéraires à l’aide d’une traduction de quelque auteur ancien, et jamais cependant l’art de traduire les grands maîtres, de serrer de près la pensée, de reproduire le ton et la couleur du style, n’a été poussé aussi loin que de nos jours. Par un singulier contraste, c’est au moment où cet art a fait le plus de progrès qu’il doit se résigner à l’indifférence du public. Certes, à l’époque où l’abbé Goujet ne craignait pas de consacrer cinq volumes de sa Bibliothèque française aux traducteurs des ouvrages grecs et latins, à l’époque où les Dacier, les d’Ablancourt, les Marolles, les abbé Gédoyn étaient des personnages dans la république des lettres, il s’en fallait bien que les poètes et les orateurs de l’antiquité eussent encore trouvé dans notre langue des interprètes dignes d’eux. On ne doit pourtant ni blâmer ni regretter les honneurs accordés à ces tentatives incomplètes. L’éducation des langues se fait comme celle des écrivains eux-mêmes. En luttant avec les modèles antiques, les idiomes de la moderne Europe développaient maintes qualités natives qui auraient pu demeurer longtemps engourdies. Rien de meilleur que de tels exercices pour acquérir la force et la souplesse. On comprend donc l’intérêt particulier qui devait s’attacher à ces études dans les périodes où la langue se débrouille. Aujourd’hui que nous avons d’autres modèles fournis par notre littérature elle-même, aujourd’hui qu’il ne s’agit plus de façonner un idiome informe, mais de conserver une langue consacrée par les plus glorieux chefs-d’œuvre, en lui imprimant, si nous pouvons, la marque de notre siècle, ce n’est plus dans un intérêt de grammaire ou de rhétorique que nous cherchons à reproduire les maîtres de l’antiquité. Une inspiration plus désintéressée soutient les traducteurs de nos jours. Nous songeons moins à nous et davantage à l’écrivain qui nous occupe. Ce n’est plus

  1. Plutus ou la Richesse, comédie d’Aristophane traduite en vers français; — les Adelphes, comédie de Térence, traduite en vers français; — Scènes d’Aristophane, traduites en vers français par Eugène Fallex, professeur au lycée Louis-le-Grand. Paris, Durand, 1859.