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de Runeberg, et que l’on dise si ce peuple n’a pas déjà payé son tribut. Ce sont trois millions d’hommes seulement, il est vrai, quinze cent mille dans la grande-principauté, quinze cent mille sur le sol russe, dans les provinces d’Ingermanland, d’Olonetz et d’Arkhangel; mais ces trois millions n’ont pas vécu inutiles ; l’avenir lui-même ne doit pas les dédaigner : après s’être fait respecter par leur développement intellectuel et moral, ils pourraient être un jour appelés à remplir un rôle politique important en Europe.

En effet, si les Finlandais appartiennent à une race qui ne peut pas se confondre avec celles des grands états qui l’entourent, ce n’est pas qu’ils soient complètement isolés en Europe. D’abord ils s’étendent eux-mêmes, comme nous l’avons dit, en dehors de la grande-principauté, sur les bords des grands fleuves et dans toute la partie nord de l’empire moscovite, et ils touchent presque par là aux peuples de la Sibérie, auxquels par l’origine ils sont alliés. Au sud même de la Baltique, les Esthoniens sont leurs frères, et la langue esthonienne est seulement un dialecte de la leur. Enfin tout le groupe des Magyars se reconnaît avec eux une affinité véritable, et ils forment ainsi, eux et leurs alliés, tout un mur entre le système de l’Europe centrale et la Russie. Les Finlandais n’ignorent pas l’importance politique de ces conditions naturelles, et ils ne se sentent pas dépourvus de sympathies pour des nations sœurs, isolées, comme eux, parmi les peuples de l’Europe, et plus d’une fois maltraitées, comme eux, par les combinaisons de la politique ou les chances de la guerre. Les épreuves de la Hongrie ne sont jamais restées sans échos en Finlande. Lors de l’insurrection hongroise de 1848, les Finlandais s’émurent; la Russie en prit ombrage, et, la lutte une fois terminée, c’est contre la langue nationale de ces peuples qu’elle dirigea ses efforts : une ordonnance du 8 mars 1850 interdit aux journaux imprimés en finnois d’autres articles que ceux concernant des sujets d’économie domestique ou de religion. Vint la guerre d’Orient, qui fit craindre à la Russie un soulèvement de la Finlande; l’ordonnance de 1850 tomba alors en désuétude, et la presse redevint politique. Arrivent les affaires d’Italie avec de nouveaux appels aux Hongrois, et de nouveau se montrent aujourd’hui les défiances du gouvernement russe envers la presse finlandaise.

Cela n’a rien qui doive étonner : la presse finnoise, comprenant les publications périodiques, journaux ou recueils, destinées spécialement au peuple, est singulièrement active. Nous avons sous les yeux quelques-unes de ces publications, avec une liste qui les comprend toutes, et nous y comptons à peu près une douzaine de journaux en finnois, sans compter une douzaine de feuilles en suédois, toutes imprimées dans le pays, et une demi-douzaine de recueils périodiques. Le principal des journaux finnois est le Suometar, ou la Fille de la Finlande, , qui paraît à Helsingfors. Fondé en 1847 par MM. Oksanen, Tikkanen, Polén et Varelius, il s’est depuis lors fort habilement soutenu. Il a parfois compté plus de quatre mille abonnés. Ce sont les correspondances locales qui ont fait tout d’abord son succès. Chacun y adresse ses questions et ses réponses, ses objections ou ses renseignemens. Littérateurs, prêtres, maîtres d’école et paysans s’y rencontrent également, pour discuter les intérêts des paroisses, des communes, du pays tout entier. Les autres journaux ont bientôt suivi l’exemple du Suometar, et ces libres discussions, dans un cercle restreint il est vrai, ont fait l’éducation