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varie de 1 franc à 1 franc 20 centimes. Ce qui permet à l’ouvrier de subsister avec un salaire aussi insuffisant, c’est le travail sans relâche de tous les membres de la famille. La journée finie, et souvent la nuit au clair de lune, le père cultive le petit champ, d’une dizaine d’ares, qu’il loue autour de sa chaumière. Depuis que la vapeur a brisé l’antique symbole de l’industrie domestique, le rouet, la mère et les filles font de la dentelle, travail délicat et gracieux, mais trop peu rétribué, et surtout trop incertain, comme tous les travaux qui répondent à des besoins de luxe et aux fantaisies de la mode. Les fils que les occupations des champs ne réclament pas encore élèvent des lapins pour le marché de Londres. Leurs humbles mains, mettant à profit la moindre touffe d’herbe oubliée dans les taillis ou le long des chemins, diminuent la gêne de la maison paternelle et donnent lieu à un mouvement d’exportation qui n’est pas à dédaigner, tant il est vrai qu’en agriculture il n’est rien qui n’ait de l’importance. Il s’exporte, par Ostende seulement, 1,250,000 lapins par an, d’une valeur de plus de 1,500,000 francs. On les envoie, écorchés et nettoyés, aux marchés de Londres par les bateaux à vapeur. La peau est conservée dans le pays pour la fabrication des chapeaux.

Quoique leur vie soit bien rude, le séjour des villes ne semble pas attirer les populations rurales. Même quand la terre ne lui appartient pas, un lien très fort attache le cultivateur flamand au sillon qu’il arrose de ses sueurs. L’habitude, les traditions de la famille, l’impossibilité d’entreprendre une autre industrie, le charme si puissant de la campagne, qui agit profondément sur ces âmes rustiques, tout les rive à la charrue. Toutefois l’augmentation continue des fermages, qui, tous les neuf ans, au renouvellement du bail, subissent une hausse nouvelle, les remplit d’inquiétude et empoisonne leur existence. Ils se défient de tous ceux qui leur demandent des renseignemens sur l’état de l’agriculture ; ils ne répondent aux questions qu’avec répugnance. Ils dissimulent la fertilité qu’ils ont su communiquer à leurs terres et le produit qu’elles peuvent donner, afin qu’on ne sache point que la ferme, améliorée par leur travail, peut supporter une rente plus élevée. À en juger par la progression des baux, il faut avouer que leurs appréhensions ne sont pas sans fondement. En effet, d’après les statistiques officielles, le prix de location par hectare aurait été porté, de 1830 à 1846, dans la Flandre occidentale, de 60 à 73 fr., soit une hausse de 21 pour 100, et dans la Flandre orientale de 71 à 93 fr., soit une hausse de 30 pour 100. Depuis 1846 jusqu’en 1860, l’augmentation, loin de se ralentir, a plutôt augmenté, surtout dans la première de ces deux provinces ; on arrive à constater une augmentation moyenne de 40 pour 100 en trente ans, tandis que, pendant la même période, le prix des céréales