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14 pour 100. On arriverait ainsi à des prix de vente et de location qui égaleraient à peu près ceux de la Lombardie, et qui dépasseraient de beaucoup ceux de l’Angleterre et de la France. Il faut remarquer en outre que, même à rente égale, le produit brut doit être plus grand ici, puisqu’il doit couvrir, indépendamment de cette charge supposée la même, les frais beaucoup plus élevés de main-d’œuvre et d’engrais qu’exigent la qualité médiocre du sol et la méthode que suit le cultivateur flamand pour le mettre en rapport.


II.

Je viens d’exposer les traits généraux de l’économie rurale dans les Flandres. Qu’on veuille bien me suivre maintenant dans un de ces villages, dans une de ces fermes qui s’élèvent de toutes parts, et observer d’un peu plus près les occupations de leurs laborieux habitans. Nous voici dans le pays de Waes, au nord de l’Escaut, entre Anvers et Gand. On se croirait d’abord dans une vaste forêt ; tous les chemins sont plantés d’arbres, tous les champs en sont entourés, tous les fossés bordés. Ces arbres, plongeant leurs racines d’un côté dans la terre cultivée et de l’autre dans des eaux grasses et limoneuses, ont une vigueur et un air de plantureuse jeunesse qui réjouit. Du reste, nul mouvement de terrain, nulle échappée lointaine sur des horizons variés, aucun de ces accidens de la nature qui en révèlent la puissance et la grandeur. La vue est bornée de toutes parts ; tout est calme, uniforme, et réveille dans l’esprit l’image du bonheur paisible et des humbles joies que procure la vie rurale. Tout montre le travail intelligent de l’homme et mérite donc l’attention de l’économiste ; mais rien ne frappe l’imagination, rien n’arrête l’artiste. Cependant, comme chaque paysage, même le plus simple, a sa poésie propre, quand les rayons du soleil, tamisés à travers les feuilles des peupliers et des saules, projettent sur les champs voisins des reflets d’or et d’aigue-marine, on se plaît à suivre au milieu de campagnes si bien cultivées ces jeux d’ombre et de lumière qui font la beauté des clairières dans les grands bois, et dont Hobbema excellait à rendre les mobiles effets. De distance en distance, parallèlement aux chemins, les habitations des cultivateurs s’élèvent au milieu de vergers ombragés d’énormes pommiers. Tacite avait remarqué que les Germains, au lieu de grouper leurs demeures comme le faisaient les Latins, les dispersaient dans les campagnes. « Ils vivent séparés, dit-il, et ne souffrent point de demeures contiguës. Leurs villages ne sont pas comme les nôtres formés de maisons qui se joignent et se tiennent ; chacun entoure la sienne d’un espace libre. » Ce tableau est encore vrai de nos jours, tant les instincts mystérieux de la race ont persisté à travers les