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car les conditions de son développement résultent surtout des circonstances qui l’ont accompagné. Les progrès de cette culture sont dus à trois causes principales : l’aptitude et le goût très prononcé des habitans pour les travaux des champs, l’association intime de l’agriculture et de l’industrie, enfin la liberté et l’indépendance dont ont joui les populations. Quand on considère la nature ingrate du sol et qu’on voit à quel point sa prospérité a dépendu de cette troisième sorte d’influence, on se rappelle le mot si juste de Montesquieu : « Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté. » Voyons donc l’aspect que présente cette terre conquise sur les eaux et sur les sables, fécondée par une race patiente et industrieuse, ravagée plus tard par les excès de la domination étrangère, mais qui, sous un gouvernement libre et issu de la nation, est presque remontée au degré de prospérité dont elle jouissait jadis[1].


I.

Quand on descend des collines doucement arrondies qui forment le bassin de la Lys et qu’on s’avance vers la Mer du Nord, on voit se dérouler devant soi de vastes plaines parfaitement unies, bornées à l’horizon par une ligne de monticules de sable d’une blancheur éblouissante. Cet ourlet, légèrement ondulé, qui se détache nettement entre l’azur du ciel et le vert foncé des prairies, ce sont les dunes qui protègent les terres basses contre les vagues de l’Océan. Les habitations sont rares. De loin en loin, on aperçoit les toits de tuiles rouges de quelques fermes abritées par un bouquet d’arbres que les tempêtes de l’ouest ont tous courbés dans le même sens, ou bien l’aiguille de quelque clocher de village à moitié perdue dans la brume bleuâtre qui s’élève toujours de ce sol marécageux. Les demeures rurales, comme celles des tribus maritimes qu’avait visitées Pline sur cette même côte, s’élèvent sur de petites éminences qui dominent de quelques pieds une plaine inondée pendant les hivers pluvieux : alors les habitans, enfermés avec leurs troupeaux comme en des îles, et non moins isolés que les Égyptiens pendant la crue du Nil, ne communiquent entre eux qu’au moyen d’embarcations. Transformé ainsi en lac durant deux ou trois mois de l’année, le pays offre pendant l’été ces horizons uniformes et verdoyans dont Paul Potter aimait à ouvrir dans le fond de ses toiles les perspectives profondes. Ici encore, comme dans les tableaux du maître hollan-

  1. Pour le sol et le climat des Flandres, on peut consulter la Géographie physique de la Belgique, par M. Houzeau, et l’excellent mémoire de M. A. Belpaire sur la Plaine maritime de la Mer du Nord : pour la partie historique, les ouvrages du savant professeur de l’université de Gand, M. Moke, la Belgique ancienne et les Mœurs des Belges.