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pure et simple à la France après la mort de François II. Cette ligne, nous dit d’Argentré, « portoit pour cause la défense des personnes et biens des dames Anne et Isabel de Bretaigne ; elle estoit formée, ajoute l’historien, de belles et grandes liaisons, mais les chefs ne se rencontrèrent pas tous aux affaires. Ceci mit le duc en guerre avec le roi, dont il n’avoit nul besoing, s’il eust esté bien conseillé; mais la Bretaigne estoit la retraite ordinaire des princes et puînés de France, quand ils estoient en discord avec les roys leurs aînez, et le duc pensoit besoigner par eux et se défendre des entreprises du roy. Ce fut une grande cause de la ruine du pays, et aussi de la noblesse, qui y demeura en ceste querelle. » Les anciens confédérés d’Ancenis, signataires du traité de Montargis, qui continuaient à maintenir la validité de la cession faite à la France par les héritiers de Penthièvre, estimèrent le moment favorable pour intervenir, et promirent à Charles VIII de seconder l’invasion française sous deux conditions : la première, que le roi ajournerait jusqu’à la mort très prochaine du duc ses projets sur la Bretagne; la seconde, que les Français n’établiraient de garnisons dans aucune des forteresses appartenant aux hauts barons, qu’ils ne grèveraient pas le peuple et paieraient scrupuleusement toutes leurs dépenses. « Le roy accorda ces articles-là, n’ayant garde d’y faillir, car il n’y avoit qu’à mettre le pied dedans par l’advis et consentement des seigneurs de Bretaigne et sans résistance : aussi le roy les jura et signa de sa main. Ce faict, incontinent après, voici venir en même temps le seigneur de Saint-André, accompagné de quatre cents lances et six mille hommes de pied qui entrèrent en Bretaigne par un endroict; le comte de Montpensier, lieutenant du roy, par un autre; Louis de Bourbon, puyné du comte de Vendosme, avec un autre nombre d’hommes; le seigneur Louis de La Trémoille, vicomte de Thouars, beau-frère du comte de Montpensier, par un autre, tellement que le pays fut incontinent couvert de gens de guerre de par le roy. Les princes et seigneurs françois qui lors estoient auprès du duc se trouvèrent fort en peine et non sans cause, car ils n’y avoient rien pourvu, et il n’y avoit nul d’entr’eux qui n’eust grand besoing de conseil, et qui alors n’en demandast plutost que de se mesler d’en donner[1]. »

Les troupes françaises furent à peine entrées en Bretagne que leurs généraux, ignorant ou méprisant les articles signés entre le roi et les barons, s’y établirent comme en pays conquis, saccageant les campagnes, démolissant les fortifications réputées dangereuses, mettant garnison dans tous les châteaux sans s’inquiéter du nom et des sentimens personnels de leurs nobles propriétaires. Quintin,

  1. Histoire de d’Argentré, liv. XII, p. 745.