Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent réunies à Nantes, afin de préparer une attaque contre Ancenis, où venaient d’entrer des forces considérables conduites par L’Escun, le principal agent du parti français en Bretagne, et par les sires de La Hunaudaye, de Molac et de Tyvarlen.

Cependant Landais n’était pas tellement absorbé par ses préparatifs militaires, qu’il ne songeât à prêter main-forte aux princes français venus sur ses instances à la cour de Bretagne. Il comprenait fort bien que la cause de ceux-ci était la cause même des ennemis de la couronne de France, et qu’en armant pour le duc d’Orléans, il armait pour la Bretagne elle-même. Déjà il avait mis à la disposition de ce prince et du comte de Dunois un corps d’archers avec deux cent cinquante lances. Peu après, une proclamation de François II annonçait à la nation française que le duc de Bretagne croyait devoir au sang royal qui coulait dans ses veines de ne pas demeurer plus longtemps insensible aux maux qui accablaient le peuple français, qu’il armait en conséquence pour seconder les généreux desseins du duc d’Orléans, son cousin, et délivrer la France du gouvernement arbitraire d’une certaine femme dont l’habileté et la perfidie avaient fait avorter toutes les réformes convenues à Tours l’année précédente dans la session des états-généraux[1]. Ajoutant enfin aux manifestations officielles ces rumeurs et ces calomnies populaires dont il reste toujours quelque chose, Landais fit répandre par tout le royaume les bruits les plus flétrissans sur la conduite privée de Mme de Beaujeu et, paraît-il, sur la naissance du roi Charles VIII[2].

Cependant le jour décisif approchait, car les armées du duc et des barons étaient sur le point d’en venir aux mains pour décider du sort de la Bretagne. Le 24 juin 1485, les troupes ducales débouchèrent de Nantes pendant que celles du vicomte de Bohan et du maréchal de Rieux sortaient elles-mêmes d’Ancenis; mais les soldats du duc avaient été dangereusement travaillés durant leur séjour à Nantes : avec une habileté que les circonstances servaient d’ailleurs, on leur avait représenté tout ce qu’il y avait d’inique et de cruel à verser le sang de ses concitoyens et de ses proches pour une cause qui n’était, disait-on, que celle d’un seul homme. « Le Dieu des armées, s’écrie notre principal historien breton, ne permit pas qu’ils en vinssent aux mains. Il se trouva de part et d’autre des gens de bien qui surent ménager les esprits de telle sorte que des deux armées il ne s’en fit qu’une, et que la perte de Landais fut unanimement jurée de part et d’autre. La joie fut universelle[3]. »

  1. Voyez le texte de ce long manifeste, en date du 20 janvier 1485, aux Preuves de dom Lobineau, t. II, c. 1421.
  2. Mémoires sur Charles VIII, publiés dans le tome 1er des Archives curieuses de l’Histoire de France, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés.
  3. Histoire de dom Lobineau, liv. XX, p. 745.