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de son procès, ne nous avait conservé celles qu’il fit à l’imputation d’avoir ordonné la mort de Guillaume Chauvin. D’après Landais, celui-ci trahissait le duc depuis plusieurs années; il divulguait au roi tous les secrets du conseil et se préparait, au moment de son arrestation, à se retirer en France, où François Chauvin, sieur de La Muce, son fils, servait depuis longtemps d’intermédiaire entre son père et Louis XI; il avait dû le faire mourir secrètement afin que le roi, auquel Chauvin en avait appelé, ne le fît pas enlever de force de sa prison[1].

Quoi qu’il en soit de la vérité de ces assertions itérativement reproduites, la mort de l’infortuné chancelier fut précédée d’une lente agonie, durant laquelle les raffinemens de la haine l’emportèrent probablement sur les calculs de la politique. Traîné de prison en prison sous prétexte que le roi préparait un coup de main pour le délivrer. Chauvin fut enfin enfermé dans le château de l’Hermine, où Clisson avait aussi attendu la mort. Le gouverneur fut immédiatement changé, et deux hommes à la dévotion de Landais, installés comme lieutenans du château, reçurent l’ordre d’en finir, comme par l’effet d’une maladie naturelle, avec ce vieillard affaibli et déjà mourant, « ne se trouvant contre luy, dit d’Argentré, que peu ou point de charge. » Ce siècle affreux n’était pas moins fécond en matière de supplices qu’en matière de crimes. Le chancelier mourut-il de faim comme Gilles de Bretagne? fut-il empoisonné comme le frère de Louis XI, noyé comme le frère d’Edouard IV, étouffé comme les enfans de celui-ci? Les murs de sa prison auraient pu seuls le dire; mais en s’écroulant ils ont emporté leur secret. La seule chose que vit le public, ce fut «le corps descharné, pâle, défiguré et deffait, lui restant seulement la peau et les os, qui fut enterré à Vannes par quatre pauvres, aux Cordeliers, n’assistant en ce dernier office aucun de ses parens, par craincte de Landays, lequel, venu à chef de son entreprise, continuait en toute arrogance[2]. »

Porter de tels coups, c’était provoquer de terribles vengeances et hâter l’heure d’une catastrophe préparée par l’isolement du ministre et par la haine chaque jour surexcitée de ses ennemis. Le meurtre du chancelier fut un motif pour des hommes qui avaient à peine besoin d’un prétexte, et peu de jours après la consommation du drame de Vannes, les seigneurs les plus considérables de la cour résolurent d’enlever de force le trésorier dans la demeure même du souverain, et de porter contre lui une accusation capitale, fondée sur divers cas, entre lesquels la mort de Chauvin formait le grief principal. Parmi les chefs de l’entreprise figuraient Jean de Châlons,

  1. Response de Landays au premier chef d’accusation proposé par le procureur-général du duc. — D’Argentré, ch. 29, p. 727.
  2. D’Argentré.