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porta chacun des dicts vingt-huit heures pour le moins, et n’eut ozé rien mettre entre deux ne jour ne nuit, ne oster les dicts bonnets de sa teste... dit que lui et le barbier du ehancellier de Bretagne parlèrent plusieurs fois ensemble en prison, et lui dist le dict barbier que le trésorier Landays étoit le plus-méchant homme du monde, qu’il estoit sorcier et innovateur, et usoit de mauvais art; qu’il avoit fait empoisonner feu Philippe des Essarts, que les gens de bien le disoient ainsi en secret, mais que personne n’en osoit parler en publique, et que se le dict trésorier ne pouvoit faire mourir le chancellier par justice, le feroit empoisonner, et qu’il en avoit gran paour. »

Après un pareil traitement, il était permis à coup sûr au pauvre bonnetier, rendu enfin à la liberté, de penser beaucoup de mal du ministre soupçonneux qui, le lui avait infligé, et d’aller jusqu’à le réputer en commerce avec le démon. Cette opinion-là paraît avoir eu grand crédit en Bretagne, où le peuple ne s’expliquait point par des voies naturelles la haute fortune d’un fils d’ouvrier devenu l’égal des plus grands seigneurs, et la fascination exercée par un esprit supérieur sur un prince médiocre. L’on trouve aux Actes de Bretagne une lettre adressée au chancelier Chauvin par laquelle le grand-trésorier est accusé « d’avoir envoyé chercher et quérir par pays estranges et montaines, par ung sien serviteur nommé Guillaume du Boys, deux médecins, un prêtre et une vieille, tous en communication journalière avec le démon, et usant comme lui de damnables pratiques pour faire morir le roi de France et ses serviteurs par art d’ingromance[1]. »

Les odieux soupçons qu’entretenaient l’un contre l’autre le vassal et le suzerain maintenaient, malgré les traités encore en vigueur, une sorte d’état de guerre permanent entre la France et la Bretagne. En 1478, Louis fit procéder par son parlement de Paris à la confiscation sur François II du comté d’Étampes, héritage personnel que le duc tenait de son père, et l’année suivante le roi de France accomplit un acte d’un caractère bien autrement décisif. Il acheta de Jean de Brosse, comte de Penthièvre, et de Nicole de Blois, sa femme, les droits prétendus de cette branche de la maison de Bretagne, encore que celle-ci y eût formellement renoncé en 1365 par le traité de Guérande. L’acte de transfert, auquel le monarque donna la plus éclatante publicité, portait que, depuis un siècle, la branche de Montfort avait usurpé le trône ducal au préjudice de ses légitimes possesseurs, et que ceux-ci, ne se sentant pas assez forts pour revendiquer leurs justes droits, les transmettaient dans leur intégrité

  1. Dom Morice, T. III, c. 397.