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avec perfidie, ont reçu l’interprétation la plus malveillante. Il est échappé à M. Seward, dans un meeting tenu à Rochester, de parler de l’antagonisme de l’esclavage et de la liberté comme « d’une lutte impossible à arrêter. » On n’a pas manqué d’appliquer ce que l’orateur disait des deux principes aux partis qui les représentent : on l’a accusé d’appeler de ses vœux la guerre civile. Le nom de M. Seward, devenu un épouvantail, n’est plus prononcé dans le sud qu’avec des menaces et des malédictions. Quelque injustes que soient ces haines, la prudence ne commandait-elle pas au parti républicain d’en tenir compte ?

Des élections locales, qui venaient de se terminer au mois de mars dans le Rhode-Island et dans le Connecticut, pouvaient d’ailleurs lui servir d’avertissement; ces deux états de la Nouvelle-Angleterre avaient donné en 1856 des majorités considérables à M. Frémont, et les républicains s’en croyaient sûrs. Dans le Rhode-Island cependant, les républicains avaient à grand’peine échappé à une défaite; dans le Connecticut, leur candidat au poste de gouverneur, M. Burlingham, n’avait passé qu’à la majorité de 600 voix sur 80,000 votans, et il n’avait été préservé d’un échec que par la modération bien connue de son caractère et de ses opinions, et sa grande popularité personnelle. Ces deux élections avaient prouvé combien de ménagemens étaient nécessaires, même dans les états d’origine puritaine, pour ne pas heurter les instincts conservateurs des masses. A plus forte raison fallait-il user de précaution vis-à-vis des états libres qui, en 1856, avaient voté pour M. Buchanan, ou que des rapports de voisinage et d’intérêts pouvaient faire incliner vers le sud : nous voulons parler de l’Indiana, du New-York, du New-Jersey et de la Pensylvanie. Toutefois les amis de M. Seward arrivèrent pleins de confiance à la convention de Chicago. Ils s’attendaient bien à ce qu’au premier tour de scrutin la Pensylvanie voterait pour le général Cameron, l’Ohio pour M. Chase, l’Illinois pour M. Lincoln, le Missouri pour M. Bates; mais, assurés de la Nouvelle-Angleterre, ils comptaient que leur candidat aurait de beaucoup le plus grand nombre de voix, et que tous les grands états, après avoir donné une marque d’estime à quelqu’un de leurs concitoyens, se rallieraient à lui au second tour. Ils furent cruellement désappointés. M. Lane et M. Curtin, qui étaient candidats du parti républicain aux fonctions de gouverneur, le premier dans l’Indiana et le second dans la Pensylvanie, et qui devaient bien connaître l’opinion de leurs concitoyens, déclarèrent que la candidature de M. Seward serait fatale à leur propre élection, et aboutirait dans leurs états à une défaite semblable à celle de 1856. L’Indiana, qui n’avait pas de candidat local, adopta aussitôt la candidature de M. Lincoln, de l’Illinois; la Pensylvanie en fit autant au second tour de scrutin, et