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ment les gouvernemens provisoires dont il autorise l’établissement dans les territoires, et qui sont ses créations, auraient-ils un droit que leur auteur n’a pas? Donc l’esclavage ne peut être interdit dans les territoires, donc il existe de droit dans tous. Lorsqu’une de ces sociétés naissantes a grandi, lorsqu’elle a mérité d’entrer dans la confédération à titre de communauté indépendante, elle peut, dans la plénitude de sa souveraineté, conserver ou abolir l’esclavage; mais jusqu’à cette émancipation solennelle, et tant qu’elle demeure en tutelle, elle n’est pas maîtresse de rejeter l’esclavage de son sein. Si donc cette communauté mineure essaie de porter atteinte aux droits des propriétaires d’esclaves, c’est un devoir rigoureux pour le congrès de les faire respecter. On appuyait encore cette argumentation sur les considérans de l’arrêt rendu par la cour suprême dans l’affaire de l’esclave Dred Scott. Ces considérans refusent de reconnaître aucune différence entre un esclave et une propriété quelconque, et portent que tous les citoyens ont un droit égal à se transporter sur un point quelconque du territoire américain avec leur propriété et à y réclamer pour cette propriété la protection des lois. Les résolutions de M. Jefferson Davis, qui depuis deux mois occupaient le sénat au détriment des affaires publiques, avaient pour objet de faire déclarer par cette assemblée l’urgence pour le congrès de voter les lois nécessaires à la protection de l’esclavage dans tous les territoires.

On aperçoit aisément toute la portée de l’argumentation qui vient d’être résumée. Les républicains ne manquaient pas d’en déduire toutes les conséquences pour les opposer à M. Douglas comme le résultat forcé de la négation de l’autorité du congrès. Ils soutenaient que la logique était du côté de M. Jefferson Davis : du moment que le congrès n’avait pas le pouvoir de légiférer contre l’esclavage, celui-ci était de droit partout où s’étendait l’empire de la constitution américaine, et c’était la liberté qui était l’exception, puisqu’elle ne pouvait exister qu’en vertu d’un acte spécial et d’une volonté expressément manifestée par le peuple. Encore la volonté populaire était-elle, à cet égard, soumise à plus d’une restriction. Un citoyen du nord avait incontestablement le droit de se transporter au sud avec ses outils ou ses marchandises, de les y employer à sa guise, de les garder ou de les vendre. Ne s’ensuivait-il pas, d’après la doctrine de la cour suprême, qu’un planteur du sud avait le droit de venir à New-York ou à Boston avec son troupeau d’esclaves, de s’y faire servir par eux et de les mettre en vente? Ainsi les états libres avaient vainement interdit à leurs citoyens de posséder des esclaves : ils n’avaient point affranchi leur territoire de cette lèpre sociale; il dépendait du bon plaisir d’un homme du sud de leur in-