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aussi bien qu’en Europe, la classe la plus nombreuse, la plus active et souvent la plus intelligente est celle qui a le moins de temps à consacrer à la politique; il arrive rarement qu’un homme occupé d’affaires ou d’études sérieuses ait le loisir de faire partie d’une association politique se réunissant régulièrement. Les comités, surtout les derniers placés dans l’échelle, sont donc envahis par les avocats sans causes, par les médecins sans malades, les agens d’affaires, les chercheurs de places qui se vouent au triomphe d’un parti pour se faire élire à quelque petite fonction salariée. Toutes les chances sont pour que les intrigans s’y trouvent en majorité. Ce sont cependant ces comités qui nomment les délégués pour la convention qui doit choisir les candidats du parti; l’immense majorité des citoyens n’a d’autre alternative que d’accepter les désignations toutes faites, ou de renoncer à son droit de voter. Il faut nécessairement opter entre les candidatures préconisées par les divers partis; quelquefois un même scrutin doit pourvoir à une foule de fonctions différentes : il faut donc accepter aveuglément dix ou douze noms et souvent davantage ; tout au plus a-t-on la ressource de biffer un nom peu sympathique et de perdre ainsi un de ses votes; ce serait sans espoir qu’on substituerait au nom effacé le nom le plus glorieux ; on ne donnerait à l’objet de cette préférence individuelle qu’une voix isolée et inutile. Souvent même on ne peut s’accorder cette innocente satisfaction. Un des lecteurs de la Tribune de New-York lui écrivait dernièrement pour lui exposer sa perplexité : il souhaitait la nomination du candidat désigné par son parti pour la présidence, mais il avait une répugnance profonde pour le candidat à la vice-présidence, et cependant les électeurs fédéraux, qu’il était seulement appelé à nommer, avaient pour mandat impératif de voter en faveur de l’un et de l’autre candidats ; il demandait comment il pourrait satisfaire à la fois ses sympathies et ses répugnances. Le journal consulté se déclara hors d’état de résoudre le problème.

Un candidat isolé n’aurait aucune chance de lutter contre ces organisations puissantes, dont les ramifications couvrent toute l’étendue du territoire, et l’on a remarqué plus d’une fois que Washington lui-même, s’il sortait de la tombe, ne réussirait pas à se faire élire greffier de village à moins d’être régulièrement patroné par un parti. Si grande que puisse être la popularité d’un homme, elle ne suffit pas à lui donner, d’un bout à l’autre de la confédération, des journaux qui écrivent en sa faveur, des orateurs qui parlent pour lui. des imprimeurs et des distributeurs de bulletins, des électeurs enfin qui sollicitent la candidature afin de voter pour lui. On peut arriver à enlever le vote d’un état ou deux: on a vu de Witt Clinton obtenir les suffrages du New-York et Daniel Webster ceux du Massachu-