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a le droit de distribuer non-seulement des prix ou des rangs, mais les encouragemens de l’état. Dans un autre pays, je dirais : « Formons une association, faisons appel au zèle des souscripteurs, fondons une Galerie nationale à l’exemple des particuliers anglais, offrons chaque année un revenu considérable au jury, pour qu’il fasse, en notre nom, l’acquisition des œuvres les plus sérieuses et les plus belles. Imprimons ainsi aux arts un essor nécessaire, car l’argent est pour les artistes moins une rémunération qu’un moyen de travailler avec plus d’énergie, de dédaigner les exigences du commerce, et de se vouer avec passion aux études désintéressées. » Mais nos mœurs n’ont malheureusement rien de commun avec celles de l’Angleterre. Nous adorons la liberté à la condition de ne la pratiquer point, nous en appelons les bienfaits sans en accepter les devoirs; nous pouvons au besoin mourir, nous ne voulons pas vivre pour elle. La liberté politique doit reposer sur une série d’institutions libres que nous méconnaissons, parce qu’elles nous gênent. Nous rejetons toutes les charges sur l’état, sans réfléchir qu’en même temps nous lui donnons les moyens de soutenir ces charges : or ces moyens s’appellent le pouvoir. Que je propose de fonder une société libre pour l’encouragement des beaux-arts, on rira de ma naïveté. « N’avons-nous pas l’état? » me répondra-t-on. « C’est lui qui préside à ce luxe qu’on appelle les beaux-arts. Il est notre expert, notre acquéreur; nous lui votons chaque année plusieurs millions qui servent à payer, dans un département spécial, beaucoup d’employés et quelques tableaux. Adressez-vous à l’état. » Il le faut bien, en attendant que la France s’aperçoive que pour un peuple les deux mots centralisation et abdication sont synonymes.

Tournons-nous donc vers l’administration des beaux arts, et présentons-lui la requête suivante :

« Vous avez confié à l’Académie, érigée en jury, le soin de décider du mérite des artistes et de répartir entre eux les récompenses. Poussez la confiance jusqu’au bout : donnez aux juges des fonds assez considérables pour que le concours ait toute son efficacité. L’honneur ne sera point diminué, parce que les statues victorieuses et les tableaux couronnés seront en même temps acquis. Ce sera au contraire un tout puissant encouragement que d’assurer aux hommes de talent un placement glorieux pour leurs œuvres, la sécurité pour eux-mêmes, et l’indépendance pour le travail du lendemain. Sur votre budget, richement doté depuis huit ans, prélevez une part pour l’attribuer à l’exposition. Au lieu d’arriver à cette échéance prévue avec des excuses, de bonnes paroles et une caisse presque tarie, il est facile de thésauriser à l’avance, de diminuer le nombre des commandes obscures, des copies plus médiocres encore que