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Je n’ajoutai rien ; mais ma bonne Christine devina qu’une troisième question, qui me coûtait à faire, restait arrêtée sur mes lèvres.

— Hugh Wyndham, me dit-elle, est encore en Angleterre… Il part dans quelques jours pour rejoindre son régiment… Maintenant, ajouta-t-elle avec douceur, maintenant que vous savez tout ce qu’il fallait vous dire pour dissiper vos inquiétudes, nous en resterons là jusqu’à guérison parfaite.

Je ne pouvais que me soumettre à cette amicale injonction dans l’état de prostration complète et presque d’anéantissement auquel le mal m’avait réduite. Quand je fus un peu rétablie, et avant même que mes forces fussent tout à fait revenues, j’appris, toujours par ma belle-sœur, que Hugh était parti. — Mais il n’a pas voulu quitter le pays, eut-elle soin d’ajouter, avant d’être informé que vous étiez hors de danger.

— Mon cœur lui en tient compte, répondis-je, tout assurée que je suis de ne le revoir jamais.

Je me sentais comme indigne de tout bonheur et comme incapable d’en jamais goûter aucun. Il est des fatalités qui ressemblent à des crimes, et qui comme eux vous laissent sous le poids d’éternels remords. Ma mère désormais vouée à l’isolement, à la honte, ma mère déchue, humiliée, engourdie dans une irrémédiable tristesse qui lui ôtait en partie l’usage de sa raison, ma mère n’était ainsi que par moi. Ne fallait-il pas que ma mère fût vengée ?

Elle l’a été. L’année s’est écoulée après laquelle, si Hugh était encore vivant, je devais, avait-il dit, le revoir. Croirait-on que malgré moi je gardais au fond du cœur je ne sais quelle vague espérance, démentie par tous mes pressentimens comme par tous mes calculs ? Je ne sais si Godfrey s’en doutait. Il était toujours bon, excellent pour moi, et jamais une parole ne lui échappait dont mes regrets mystérieux pussent s’effrayer ou s’aigrir. Un jour, — il n’y a pas longtemps, — je le surpris regardant à la dérobée mon visage flétri, ma taille affaissée sur elle-même. Une douleur profonde contractait sa physionomie sévère. Une larme n’a jamais mouillé ses yeux, mais je compris que cette fois il « pleurait en dedans, » et je compris pourquoi.

— Hugh est mort !… Lui dis-je simplement.

— Oui, répondit-il en se détournant de moi.

— Où a-t-il péri ?… où est son tombeau ?…

— Là, me répondit-il en me montrant une carte de l’Inde.

— Son régiment ne devait pourtant pas s’y trouver.

— Non ; mais il avait quitté son régiment.

Une clairvoyance effrayante échoit en partage à ceux qui ont la longue expérience du malheur. Je devinai que Hugh avait dû changer de régiment par déférence pour les susceptibilités exagérées du