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rapprocher de nouveau. Ma poitrine oppressée, ma voix mal assise, me trahirent. — Tenez, Alswitha, me dit Hugh me contemplant avec un sourire amical, vous savez que nous ne pouvons plus nous quitter... A quoi bon ne pas en convenir?

— Ah! m’écriai-je alors, comme ressaisie par cet esprit prophétique qui dominait de temps en temps toutes mes autres inspirations, mieux eût donc valu ne nous plus rencontrer !

À ces mots, il quitta ma main, qu’il avait emprisonnée dans la sienne, et je vis une sorte de surprise indignée se peindre sur son visage, qu’un moment d’espoir venait de faire rayonner. — Ne me quittez pas ainsi ! lui dis-je, le voyant prêt à s’éloigner... Pas ainsi !... pas irrité contre moi!... Ne me croyez ni injuste, ni capricieuse... Pourquoi donc, pourquoi ne pas rester amis ? m’écriai-je ensuite, ne sachant comment revenir sur mes pas.

— Parce que notre amitié, de loin, serait un vain rêve,... parce que les circonstances nous séparent,... et parce qu’un mot de vous, que vous laisserez ici même échapper de vos lèvres, nous unit au contraire à jamais.

La joyeuse confiance qui lui inspirait ces paroles produisait sur moi une sensation étrange. Il me sembla que tout mon sang se glaçait dans mes veines. — Vous ne savez pas, Hugh, lui dis-je en frissonnant,... non, vous ne savez pas, vous ne pouvez savoir ce que vous me demandez là.

— Je vous demande un moment de courage, que je paierai par toute une existence de dévouement... Voyons, reprit-il, entre vous et moi il ne peut être question de ces coquetteries dont je vous sais incapable... Vos pleurs cependant et cette main que vous refusez de me rendre semblent m’annoncer un sérieux motif de craindre que mes vœux soient irréalisables... S’il en existe, faites-le-moi franchement connaître... Votre main est-elle promise?... Non?... Me croyez-vous indigne de l’affection que je vous demande?...

— Mon frère,... balbutiai-je avec embarras, car la terrible vérité ne pouvait franchir mes lèvres.

— Votre frère, s’il est ce que vous dites, un homme juste, un cœur d’élite, se rendra compte que son hostilité contre Owen, — je la déplore, mais je la comprends, — ne saurait vous séparer de l’homme que vous aimeriez assez pour vous donner à lui... D’ailleurs l’autorité fraternelle a ses limites, et puisque vous avez trouvé en vous l’énergie nécessaire pour quitter votre mère à cause de l’aversion que vous inspirait Owen...

Il n’acheva pas, mais j’avais déjà compris la portée de cette incontestable logique... Voyant que je ne trouvais rien à répondre, et certain dès lors qu’il m’avait persuadée, Hugh n’insista plus. Avec son enjouement habituel, qui me dominait en me charmant, il se