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où je le chapitrai vertement sur l’inconvenance de son procédé.

Je me hâtai ensuite de descendre, mais le beau gentleman en avait fait autant, à ce qu’il paraît, dès qu’il nous avait vus dans la rue, car il nous eut bientôt rejoints, et à la porte même des jardins de Kensington, je m’entendis, à mon indicible surprise, interpeller par une voix bien connue. Hugh Wyndham était devant moi et me tendait la main. Je ne songeai pas un instant à lui refuser la mienne, et je me laissai conduire par lui jusqu’au bord d’une des pièces d’eau, où nous demeurâmes assis, l’un près de l’autre, sur le même banc.

Les premières paroles échangées entre nous furent tristes, un peu contraintes. Depuis deux ans et demi que nous ne nous étions vus, combien de changemens dans notre situation, combien dans nos personnes mêmes! Ses traits, toujours délicats, étaient fatigués et légèrement flétris. La pâleur qui les couvrait était-elle le symptôme d’une altération permanente? Venait-elle de l’émotion qu’il éprouvait en retrouvant tout à coup la confidente de ses jeunes amours, fauchés en pleine floraison par l’impitoyable mort? Quant à son embarras, il était grand et l’étonnait lui-même. — D’où vient, s’écria-t-il tout à coup, qu’après avoir tant désiré depuis quinze mois l’occasion de me retrouver avec vous, je n’ai pas, maintenant qu’elle m’est offerte, une seule parole à vous dire?

— Quoi d’étonnant à cela?... Vous me retrouvez tout autre que vous ne m’avez laissée, tout autre que vous ne vous attendiez à me revoir...

— Non,... non... Là n’est pas le mot de l’énigme... Vous êtes toujours la bonne, la fidèle amie d’autrefois; mais ce qu’il me semblait que j’aurais à vous dire, des pensées que je vous réservais à vous seule, que ni ma mère ni mes sœurs n’auraient pu comprendre,... eh bien! je ne sais comment vous les exprimer...

J’éprouvais justement le même embarras. J’aurais voulu trouver des paroles de consolation, et aucune ne me venait à l’esprit. Au reste, c’était là mon seul trouble. Le calme de mon cœur à ce moment aurait surpris, comme il me surprenait moi-même, ceux qui en eussent connu le mystérieux passé. Aux questions de Hugh sur ce qui m’était arrivé pendant son absence, je répondis très brièvement, et j’imagine que la sécheresse sommaire de mon récit dut le surprendre; il l’attribua sans doute à la répugnance que devaient m’inspirer les souvenirs relatifs à ma rupture avec ma mère. — Écoutez, me dit-il, je n’ai ni le droit ni même la pensée de vous blâmer pour avoir quitté la maison de mon frère. Je sais que vous n’y étiez pas, que vous ne pouviez pas y être heureuse... Une seule circonstance me fait regretter le parti que vous avez cru devoir prendre, c’est la mauvaise interprétation qu’on peut lui donner et l’avantage